[vc_row][vc_column][vc_column_text]Par Guy Loinger
Article pour le Guide Permanent du Développeur Economique Avril 2005
De plus en plus d’acteurs comprennent que l’on ne peut pas se contenter de piloter un territoire « à vue », au jour le jour, sur la base des demandes et des aspirations des électeurs et de l’émergence des besoins qui traduisent les jeux de rapports de force entre les groupes sociaux localisés dans tel ou tel contexte. L’expression d’une vision des choses, d’un cadre qui permette d’ordonner les intentions, de les hiérarchiser, d’organiser la multitude des aspirations et des besoins, de coordonner les jeux d’acteurs de façon à parvenir à des résultats tangibles est reconnue comme nécessaire. La construction d’un cadre de l’action collective manifeste le besoin d’une plus grande efficacité des politiques publique, d’une meilleure efficience dans l’usage des fonds publics, et plus fondamentalement, d’un partage du sens de l’action collective.
Introduction. La prospective comme levier pour l’élaboration des projets de territoire
L’époque ou les idéologies faisaient office de programme d’action et suffisaient pour justifier la désignation d’un responsable à une fonction élective n’est plus de mise. Les électeurs signent de moins en moins de « chèque en blanc » à leur dirigeants. Ils attendent des réponses concrètes à leurs problèmes, et à leurs aspirations sociales, et ils entendent aussi peser sur les conditions de la mise en oeuvre des projets, sur l’expression même des idées, les principes qui servent de fil conducteur à l’action des acteurs publics. Ils veulent savoir où ils vont, vers quoi on les dirige, ce que l’on entend faire de leurs ressources, et surtout, participer à la construction de leur avenir, en somme, prendre leur avenir en main.
Il a longtemps existé un écart important entre le simple citoyen électeur, à qui l’on demandait
« de faire confiance » et l’acteur dirigeant, en général appuyé par les hommes de l’art, les ingénieurs, les techniciens de l’aménagement. Or, la société actuelle n’hésite pas à contester, et parfois durement, les actes des décideurs, en utilisant toutes les moyens possibles, les médias, les procédures juridiques.., et cela toutes « étiquettes » confondues. Les acteurs politiques sont, sinon tombés de leur piédestal, du moins ont perdu de leur superbe. Les électeurs, sont de mieux en mieux informés sur les enjeux locaux, et pour une part croissante d’entre eux, de plus en plus compétents dans l’expression de ce qui peut représenter le bien collectif, à travers le monde associatif notamment. Ce point de vue contredit le discours, un peu rapide et sommaire, sur l’individualisme et le désintérêt pour le chose publique : les électeurs pèsent de plus en plus sur l’expression des choix collectifs. Le partage de la réflexion citoyenne s’impose, au delà des clivages politiques classiques, comme expression d’une nouvelle gouvernance territorialisée.
De plus, une collectivité, un territoire devient de plus en plus un cadre d’organisation qui implique une stratégie collective, une capacité à coordonner des politiques diverses, un cadre de régulation, à mesure que les niveaux supérieurs, l’Etat notamment, prend de la distance et se concentre sur les grandes fonctions régaliennes nationales.
Il existe en quelque sorte un besoin croissant d’auto-organisation aux échelons de base des territoires, et cela à mesure que les logiques de protection des instances locales par les grands systèmes institutionnels et administratifs diminue ou régresse.
A cet égard, l’acte 2 de la décentralisation est aussi celui de la responsabilisation croissante des acteurs locaux: placés au pieds du mur, si l’on veut, d’une liberté dont les conséquences sont plus redoutables qu’il ne paraît, les acteurs dirigeants locaux pourront de moins en moins se réfugier derrière les « milles feuilles » des systèmes administratifs tellement complexes que les responsabilités sont toujours diluées, et que c’est toujours « l’autre » le responsable des erreurs et des échecs. Plus de pouvoirs, mais aussi plus le clarté et plus de responsabilités. Enfin, le principe d’autonomie, qui a toujours existé dans l’univers de la gestion des affaires locales, prend une importance croissante, même si les niveaux d’expression de cette autonomie évoluent : moins au niveau de la commune, davantage au niveau de ces nouvelles collectivités que sont les intercommunalités, les Communautés d’agglomération et les Communautés urbaines.
Tous ces facteurs vont dans le sens d’une exigence croissante de partage citoyen de la réflexion, de construction de stratégies solides au sens de « durables », mais aussi au sens d’acceptables, et de plus, capables de tirer vers le haut les sociétés locales, de donner aux citoyens l’envie de partager une communauté de destin sur un territoire particulier, le besoin d’une certaine ambition également, ce qui implique d’ailleurs des moyens en conséquence, et donc une recherche de taille critique, et donc, le besoin d’un nouveau type de coopération entre des acteurs qui, dans les logiques traditionnelles, n’avaient pas de raison de se parler et de travailler ensembles.
En d’autres termes, il existe un besoin affiché de repenser les conditions de la pensée du devenir des territoires. La critique de la planification territoriale se traduit par un renouveau de la prospective qui s’inspire d’une philosophie de l’action différente, et qui implique de revoir le socle de la façon dont on concevait jusqu’à présent l’intervention sur les territoires, l’aménagement du territoire, en un sens à la recherche d’un nouveau style, d’une nouvelle méthode de travail.
1) La prospective comme état d’esprit
La prospective nous parle du futur, de notre futur. Elle nous dit que le futur nous interpelle autant que le présent. L’arbre que nous ne plantons pas aujourd’hui ne produira pas de fruits demain. Or dans un monde qui bouge vite, qui est en recomposition permanente, demain c’est presque déjà aujourd’hui. Quand on est face à un évènement qui témoigne du changement, il est trop tard pour agir : cette attitude est celle du pompier qui n’a pas su anticiper l’événement. Et comme le dit Confucius, « celui dont la pensée ne va pas loin, verra les ennuis de près ».
Cette accélération du temps contextuel nous oblige à re-construire en permanence les marges de manoeuvre, les degrés de liberté : c’est la simple application d’un principe de précaution aux aléas du futur qui nous pousse à prendre au sérieux la question des anticipations, pour agir quand il est encore temps d’agir, pour faire une prévision active, qui engage des processus, des projets et des décisions.
Anticiper, c’est également une façon de se prémunir contre le risque de passer à côté d’opportunités, ou de passer à côté d’enjeux majeurs, mais occultés dans le quotidien, laissés de côté, les « points aveugles » de l’action collective. La prospective est l’expression d’un effort de lucidité, et un effort qui consiste oser regarder la réalité en face : pas seulement celle qui est là, comme une évidence, devant nous, mais celle qui se dessine devant nous, celle que l’on ne veut pas voir, parce qu’elle nous dérange, que l’on n’arrive pas à nommer, à désigner, parce que cela perturbe les jeux, les pratiques (souvent répétitives), ou les habitudes du moment.
La prospective, qui est une « culture », un état d’esprit, repose sur quelques principes majeurs :
– C’est une attitude qui consiste à regarder globalement un phénomène, à la fois en soi et par rapport au contexte dans lequel il se trouve: c’est l’ensemble des facteurs qui représentent l’objet lui-même, qui engendrent des interactions, des interrelations entre les facteurs, et tout simplement qui produisent l’objet comme système. Mais un système qui est ouvert sur le monde, qui subit les influences extérieures et qui, en retour, agit sur le monde extérieur.
La pression du monde sur l’objet n’empêche pas l’objet ou le système, dans notre cas un territoire, d’exister. Bien au contraire, dans la logique du vivant, ces pressions extérieures obligent le système-objet à réagir, ce qui a pour effet de le rendre plus fort, et finalement, en général, de conforter son existence. En tous les cas, comprendre les interactions entre les forces et les facteurs qui déterminent le phénomène est essentiel : la prospective s’appuie largement sur l’univers cognitif de pensée complexe, c’est une façon de penser la réalité, à la fois dans sa globalité, et dans son mouvement : la prospective est à cet égard un remarquable outil pour une connaissance vivante de la réalité, c’est une « pensée vivante ».
– C’est ensuite une attitude face au futur au sens où la prospective se distingue très clairement de l’analyse prévisionnelle, qui consiste à penser le futur par simple extrapolation de tendance, par rapport à ce que l’on a connu dans la période antérieure. La prévision peut se justifier dans un monde « invariant », stable, qui se reproduit plus ou moins à l’identique. Elle perd beaucoup de sa signification dans un monde instable et en mutation rapide.
A cette égard, la prospective repose sur un postulat implicite: le futur est une inconnue, une énigme. On ne connaît pas le futur, même à une époque qui donne une aussi grande importance à la science, et la technologie et aux sciences prédictives. Le futur est d’autant plus, d’ailleurs, une inconnue, que l’univers de la complexité, qui est le nôtre, rend très instable et imprévisible le système. Or la prospective, qui part de cette hypothèse, ne dit jamais ce qui va se passer, ce qui va advenir.
Elle dit par contre que si tel événement se produit, alors, à contexte donné, telle situation peut s’imposer. Elle ne dit pas ce qui va se passer, elle dit seulement ce qui pourrait se passer. Dès lors, en prospective, l’essentiel consiste en la construction de systèmes d’hypothèses. A cet égard, les scénarios ne sont jamais que des hypothèses sur le futur.
La prospective adopte une posture qui est d’abord critique, qui refuse de reproduire un discours parce qu’il s’agit du discours de référence du moment, et c’est ensuite une posture qui est modeste, car elle reconnaît d’entrée de jeu les limites de la capacité de penser le futur en ambiance complexe.
C’est enfin une attitude qui est basée sur le partage des idées, sur la co-construction collective des hypothèses du futur. Cela repose sur un postulat qui est le suivant : le futur n’est pas une donnée qui s’impose, comme une sorte de fatalité, c’est un construit social, sociétal. Le futur est le produit de l’activité humaine: on se représente le futur, et en fonction de cela, on prend des décisions qui permettent de transformer la réalité, à un moment donné de l’histoire, et par conséquent qui permet de « produire le futur ». Cela signifie que plus on pense collectivement le futur, dans une sphère, un lieu ou un milieu donné, et plus on se donne les moyens de faire correspondre le futur à ce que l’on souhaite, ou dont on rêve qu’il soit: on rapproche par un long cheminement le futur désiré du futur en train d’advenir.
De ce fait, la prospective, qui se fait en environnement plus ou moins ouvert, plus ou moins fermé, est pratiquement toujours une activité collective: c’est le côté participatif de la prospective.
Ansi la prospective est une attitude qui vise à comprendre et à reconnaître la réalité d’une certaine manière, dynamique, diachronique, qui s’efforce de construire des représentations du futur en faisant des hypothèses sur le futur, et à construire ces représentations en univers collectif, basé sur le débat, la délibération et de l’appropriation collective des idées.
Mais la prospective est aussi, et surtout, un outil d’aide à la décision. C’est la raison pour laquelle on parle, avec l’auteur du « Manuel de Prospective Stratégique », Michel Godet, de prospective dite « stratégique ».
Mais pour construire une stratégie, il faut réfléchir, il faut se mettre en distance, il faut « penser ». A ce sujet, on pourrait dire que la prospective est d’abord un outil d’aide à penser autrement c’est-à-dire qu’elle vise :
-1°) à analyser de façon approfondie la réalité que l’on entend faire évoluer, observer les tendances à l’œuvre, les contraintes extérieures, qui pèsent lourds sur les territoires, examiner les dynamiques internes au territoire étudié en considérant qu’un territoire est une combinaison de systèmes, de logiques, d’organisations, de processus, analyser les signaux faibles, les phénomènes en émergences, (les « faits porteurs d’avenir »), être à l’écoute de la réalité, la rendre perceptible, visible et vivante.
-2°) à anticiper les changements, car il ne sert à rien de construire des politiques publiques pour demain en fonction de systèmes culturels de référence d’hier, et parce que, faute d’anticiper, on risque de rater des « opportunités » qui ne se représentent habituellement pas si on ne sait pas les saisir avant qu’elle deviennent des évidences pour tous.
-3°) à réagir aux changements avant qu’ils n’imposent leur logique et leurs mécanismes de contrainte, car nous savons que face à l’évènement il est trop tard pour infléchir la réalité.
-4°) à devancer les changements en étant « proactif » et anticiper la constructions des conditions pour maîtriser les changements
5°) à élaborer collectivement les discours du futur, car le futur n’est une fatalité que pour ceux qui ne se donnent pas le moyen de comprendre les logiques du changement, qui sont en réalité déjà là, devant nous, en nous. Or le futur effectif peut prendre la forme des représentations partagées des futurs souhaitables : c’est en ce sens que le futur est avant tout un construit sociétal, c’est un acte politique au sens fort du terme, celui de la « polis », de la Cité. C’est une œuvre collective, que la notion de projet de territoire donne clairement à entendre.
6°) à faire passer les représentations du futur par le filtre de la représentation d’un futur souhaitable parmi une variété de futurs possibles
7°) à transformer la vision d’un futur souhaitable en processus collectifs de nature à engager la réalité dans une voie différente que celle qui existe initialement, de façon à faire en sorte que le futur effectif se rapproche autant que faire ce peu du futur désiré ou souhaité. C’est ce que l’on entend par l’action, à cela près qu’il faut distinguer l’action publique de l’action collective, la seconde enveloppant la première, ne se réduisant pas à la première.
2) Prospective et prospective territoriale. Définitions
- La prospective consiste à penser le temps long pour agir avec plus d’efficacité sur les mécanismes de prise de décision du court/moyen terme, d’où une relation itérative entre les temps longs des processus et le temps court de l’action et de la décision stratégique.
- « Que dois-je faire ici et maintenant en balayant les champs du futur? »
- Il existe une relation dialectique entre les horizons lointains de la recherche d’une vision partagée et les horizons proches des processus de décision, le lointain sert le proche et lui donne une perspective, un
- La prospective repose sur l’affirmation d’un principe, celui selon lequel l’avenir n’est pas écrit, qu’il est à construire, à bâtir, que c’est une œuvre
- Toutes les constructions du futur ne sont pas forcément explicites, elles ne prennent pas nécessairement la forme d’un « projet » collectif, discuté et assumé. En prospective, on estime que la pensée sur le futur peut et doit faire l’objet d’une réflexion collective, partagée et assumée.
- La prospective suppose de projeter des organisations possibles dans le temps et dans l’espace, à partir de la connaissance de la situation actuelle, elle-même produite par une histoire antérieure, et son articulation aux logiques du monde dans lequel le territoire se
- Elle intègre les notions de rupture, partielle ou totale, interne à l’objet considéré, ou externe à celui-ci et pouvant avoir une influence sur lui, les notions de tendances lourdes, de facteurs émergents ou de symptômes de faits porteurs d’avenirs.
- Elle vise une transformation des représentations du monde et de l’objet étudié grâce au travail d’élaboration collectif qui peut résulter d’un débat approfondi sur les futurs possibles ou
- La prospective est une activité en soi, mais qui est la plupart du temps finalisé sur des projets, sur une intention. Et le moyen de cette intention, c’est la stratégie, l’outil qui, à partir du travail de prospective, peut engager des processus décisionnels et donc, en aval, l’action collective. Mais la stratégie ne découle pas mécaniquement de l’activité de prospective. C’est une activité autonome, qui repose sur le socle de la prospective, tout en ayant son autonomie, sa sphère
- La prospective territoriale est la forme localisée de la prospective générale
Résumé. La prospective est une méthode. C’est aussi une attitude qui vise à construire un futur souhaitable à l’aune des contraintes du temps présent et des tendances à l’oeuvre dans ce qu’il est convenu d’appeler la prospective exploratoire, tendancielle et contrastées. Il ne s’agit cependant pas d’un simple exercice d’anticipation. Cet exercice, pour être valable doit s’ancrer dans la connaissance approfondie de la situation actuelle, elle-même le produit d’une histoire complexe et spécifique, afin d’éclairer les enjeux. Par ailleurs, si la prospective ne se limite pas à la préparation de la réflexion stratégique, la stratégie et prospective sont deux thématiques étroitement liées, tout en ayant des spécificités qui les différencient fortement.
La prospective présente trois grandes dimensions : la connaissance, la participation et la stratégie.
3) Les principales caractéristiques de la prospective territoriale
- la mesure des phénomènes issus du passé, notamment : les processus engendrés sur la longue durée historique et les politiques publiques initiées dans les périodes antérieures
- Le caractère quantitatif et qualitatif de la mesure des phénomènes, et la recherche sur les « signaux faibles », indicateurs de symptômes de changement. Mesurer ne suffit pas. Il faut « comprendre » une réalité.
- La globalité : voir un phénomène territorial comme un tout, dont toutes les parties sont liées et articulées entre elles, et cet ensemble avec le « reste du monde ».La connaissance des relations entre les sous-ensembles fonctionnels d’un territoire, et de ses articulations avec le monde extérieur est un enjeu majeur du travail de prospective.
- Le volontarisme : considérer qu’il est possible d’agir sur ce que l’on étudie. La « volonté » de changement est une motivation forte pour mobiliser les acteurs et la société civile, mais il faut que cette volonté soit crédible.
- La vision (plurielle) à long terme : construire « des » regards sur le long terme car le futur est une « succession emboîtée de croisées des chemins » qui ouvre des perspectives nouvelles et plurielles en termes : a) d’exploration des futurs, b) de volonté pour changer la réalité et la faire correspondre à ses souhaits ou ses désirs.
- La créativité : le futur n’est pas un déterminant donné, c’est un « construit social » créée, ce n’est pas la transposition mécanique du présent sur le futur.
4) Les cinq grandes dimensions de la prospective territoriale
- La prospective cognitive. Comprendre et connaître un territoire
- La prospective participative. Connaître et comprendre ne suffit pas. Il faut que les acteurs-territoires soient capables de faire partager leurs analyses. Cela implique d’élaborer une représentation de la situation et des champs du possible « partagés ». Mais le partage n’a de sens que si on peut proposer des idées nouvelles, des sens nouveaux.
- C’est toute la question des valeurs, des finalités, ce que nous appelons la prospective idéelle, la prospective des valeurs, que l’on confond parfois avec la prospective normative, proche bien que distincte.
- Ensuite, il faut que la prospective puisse s’incarner dans le réel, c’est la dimension opérationnelle de la prospective, la prospective dite « stratégique ».
- Et il faut que la faisabilité des intentions soit évaluée dans le champ même de la prospective, ce que nous appelons la prospective de la faisabilité.
1) La connaissance
La prospective territoriale est d’abord un outil qui permet de comprendre les dynamiques d’un territoire donné, son histoire, sa réalité présente, sa dynamique et sa finalité.
En cela, elle impose de dresser des états des lieux aussi approfondis que possibles, qui posent les problèmes, mettent en évidence les enjeux actuels et tendanciels, dans une approche ouverte sur le mouvement des choses et non pas figée à l’instant t. Sur le plan méthodologique et conceptuel, l’outil majeur de la connaissance, c’est la systémique et les théories de la complexité.
Comprendre la réalité qui est la substance de l’objet d’étude dans toutes ses dimensions, notamment historiques, géographiques, sociales, culturelles, écologiques, économiques, politiques. La connaissance en prospective s’appuie sur des méthodes spécifiques : l’analyse des systèmes et les théories de la complexité, la connaissance globale d’une réalité et de ses composantes ou sous-systèmes et de ses articulations avec le monde extérieur, de ses relations de dépendance et d’influence, globalement et par sous-systèmes, en « mobilisant » les savoirs académiques de plusieurs champs disciplinaires et la connaissance vécue et perçue de la société.
2) La dimension participative.
La prospective recouvre également une dimension participative car le futur est un construit sociétal implicite ou explicite, qui dépend de la manière dont les acteurs se représentent les futurs. La prospective aide à passer des représentations implicites et non dites à la formulation d’un « discours », d’une représentation formalisée des futurs possibles et souhaitables. Elle impose un travail de réflexion qui porte sur des domaines étroitement liés, les approches exploratoires et les approches normatives ou finalisées. Exploratoire : sur les avenirs possibles, en fonction des hypothèses que l’on peut faire, d’une part sur l’objet d’étude (les territoires selon une approche endogène), et d’autre part, du contexte et des facteurs d’influence de celui-ci sur les territoires (les facteurs exogènes qui pèsent sur territoires).
Normatif ou finalisé: quelles sont les représentations alternatives, souhaitées, désirées, voulues, que les acteurs (et la société civile), entendent faire prévaloir par rapport aux tendances que la démarche exploratoire permet de mettre en évidence. Ces de travaux, exploratoires et normatifs, débouchent sur les cônes des souhaitables raisonnés et à moindre risque.
La prospective est tournée vers le débat collectif, qu’il s’agisse de milieux ouverts (les citoyens) ou fermés (des groupes d’acteurs et ou de spécialistes), est une composante majeure de la construction d’une représentation collective assumée des futurs pensés, voulus, désirés. Plus le débat collectif (qui est rarement un débat direct avec le public) intervient en « amont » et plus l’appropriation en aval a des chances de se passer « en douceur ». Le débat collectif limité à une validation a posteriori est souvent perçu comme un leurre. Mais le débat « amont » implique des précautions organisationnelles sérieuses sur le mode : quelle est la bonne formalisation du débat avec la société civile sur des questions de fond qui engagent l’avenir à long terme.
3). La question des valeurs.
La prospective à vocation a réfléchir et à faire réfléchir sur les mobiles de l’action, sur ce qui fait sens aux yeux des habitants. Et avec le déclin des grandes idéologies globalisantes, ce sont des micro-systèmes de valeur, très liés aux identités et à l’histoire locale qui prend le dessus. Or ce sont les valeurs qui sont mobilisatrices, qui permettent de dégager une énergie collective, et non pas tel ou tel équipement ou aménagement.
4) La préfiguration de l’action, la stratégie.
La dimension stratégique constitue enfin l’aval du travail de prospective car elle permet d’apporter une aide à la décision. Mais l’activité d’élaboration stratégique, bien que très imbriquée à l’activité de prospective stricto sensu, est néanmoins une activité spécifique, qui repose sur une méthodologie propre, et qui tient compte largement des contraintes de mise en œuvre de politiques publiques et collectives, des moyens financiers et humains qu’il est possible de mobiliser sur la durée la mise en œuvre des projets. Aussi, la dimension stratégique de la prospective ne découle que partiellement de la phase de prospective, à savoir, principalement, les grands axes, les socles des objectifs fondamentaux.
Pour ce qui est de la finalisation effective des objectifs, il convient de réaliser des études spécifiques, qui permettent d’assurer que les objectifs vont effectivement faire l’objet d’une réalisation effective.
5). La faisabilité et les conditions de réalisation.
L’activité de prospective contrairement à ce que certains pensent, ne doit pas s’arrêter à la remise d’un projet in abstracto. Elle doit accompagner le processus de mis en œuvre, à travers ce qu’il convient d’appeler la prospective de la faisabilité, qui concerne les choix stratégiques sur le processus même de mise en œuvre, voire jusqu’à l’évaluation des résultats du processus.
La prospective est une activité débouchant sur des prises de décision, de programmation ou de planification à moyen et long terme. Cependant la prospective peut ne pas déboucher sur l’opérationnel et le lien entre prospective et stratégie n’est jamais « mécanique ».
Ce lien demande une activité spécifique, et en général ni les méthodes, ni les acteurs concernés ne sont les mêmes. La prospective peut avoir comme débouché des prises de conscience sur les risques, les chances, les espoirs sans déboucher sur des décisions concrètes. La stratégie, qui doit s’appuyer sur la prospective comme « matériaux » vise à un débouché pratique.
Mais la stratégie ne produit pas automatiquement de la décision. Entre la stratégie et la décision, il y a souvent un gap considérable.
Le lien entre les deux est problématique, comme est problématique le lien entre la prospective et la stratégie, comme est problématique le lien entre la connaissance et la prospective La construction des « passerelles » en prospective est un enjeu majeur qui n’est jamais gagné d’avance.
5) La prospective territoriale : pourquoi ?
- Besoin de liberté, d’accroître ses marges de manœuvres contre la « tyrannie » du court terme, alors que les contraintes du court terme sont en général très fortes. L’ouverture sur le futur est également une ouverture sur des opportunités nouvelles, donc sur de nouvelle formes de liberté et de pouvoir.
- Aider les acteurs des territoires à mieux positionner leur territoire dans un contexte très concurrentiel en jouant sur des vocations effectives, substantielles, souvent construites sur la longue durée historique, parfois plusieurs siècles, mais souvent fragiles.
- Besoin de lisibilité sur les grands enjeux actuels, de façon que les territoires « collent » au contexte, ne s’engagent pas sur de fausses pistes : le besoin de comprendre le monde dans lequel on vit, ses dynamiques, ses phénomènes émergents, est essentiel pour le construction de bonnes stratégies de développement des territoires.
- Besoin d’identité, de développer un sentiment d’appartenance aux territoires : un territoire, c’est d’abord une société localisée, un tout complexe dans un ensemble dont la richesse provient de la reconnaissance des spécificités de chacune de ses parties. Ce besoin d’identité d’une société qui a tendance à perdre ses racines est un moment important de l’activité de prospective, celle du lien entre le passé, lointain et proche, la situation actuelle et la transmission des valeurs aux générations suivantes, selon la définition du développement durable.
- Besoin de connaître les risques de rupture, de tension, de crise, donc de veille sur les catégories fragiles de la société et sur les secteurs d’activité fragilisés par les logiques dominantes
- Besoin de faire de la stratégie, c’est-à-dire de hiérarchiser les objectifs majeurs dans le temps et l’espace en fonction des moyens disponibles actuellement jusqu’à l’horizon de l’action envisagée.
- Besoin de créer du « sens » de proposer un sens à la vie collective, dans un contexte marqué par l’individualisation des pratiques sociales et la perte des repères culturels et idéologiques.
6) Les conditions de l’émergence d’un besoin en activité de prospective dans le champ territorial.
L’émergence d’un questionnement de prospective « ne tombe pas du ciel ». il est le résultat d’un processus complexe. Nous avons esquissé une grille de lecture des processus d’émergence de la question de la prospective. Nous distinguons au moins neuf moments dans l’élaboration d’une politique, et c’est dans ce cadre que l’on peut saisir l’émergence de la demande de prospective :
-1) Il existe un problème à l’état latent : des évènements montrent l’inadéquation entre les politiques ou les règles existantes et les situations rencontrées. C’est la période de gestation de la question posée, dans laquelle l’opinion publique, relayée et parfois instrumentalisée par les médias, tiennent une place majeure.
-2) La prise de conscience, plus ou moins diffuse d’un enjeu : la société civile, à travers des relais d’opinion, comme les associations, les partis politiques, les médias, ou certains d’entre eux, construisent des représentations de l’enjeu : des idées sont avancées des notions souvent critiques prennent formes.
Des avis d’experts sont donnés, des débats de société ont lieux, des discours sont produits, y compris dans le champ politique, mais de façon non officielle : c’est la période des “fausses-vrais gaffes“, des essais de prise de parole destinés à sonder l’opinion publique, voire si elle est “mûre“.
-3) La saisie “externe“ d’une autorité publique, qui peut-être une Agence spécialisée, parfois même crée pour l’occasion, comme dans le cas de l’Agence pour la Sécurité Alimentaire dans le cas de l’E.S.B.), le Commissariat Général du Plan (exemple sur la question des Retraites, un C.E.S.R. sur une question locale. Les Autorités, le pouvoir régalien, considèrent à priori qu’elles pas liés par les résultats de l’expertise, mais l’expertise pèse de son poids spécifique, qui est souvent déterminant dans le processus.
-4) La saisie “interne“ d’une autorité publique, c’est-à-dire un acteur ayant prise ou une emprise sur la décision, au sens d’acte public engageant la collectivité. C’est souvent à ce stade que la prospective apparaît dans le paysage: on confie à un Cabinet spécialisé le soin de fournir des avis sur l’implication d’une proposition visant à transformer un dispositif déjà existant, ou la création d’un dispositif nouveau. La prospective et l’évaluation sont souvent mobilisées, mais en général en ordre dispersé. La prospective et l’évaluation sont deux cultures différentes, qui ont du mal à trouver leur point d’articulation.
-5) La mise en place d’une stratégie pratique, qui définit la faisabilité de la politique, les moyens qu’il convient de mobiliser, les structures qu’il faut réformer ou supprimer de façon à donner une lisibilité au projet et une certaine probabilité de réussite en terme d’efficience. Cette période est souvent longue, complexe, au point que les raisons d’être du projet peuvent soient être détournés de leurs objectifs dès l’amont de la mise en œuvre, ou encore que la durée de la phase préalable est si longue que sa mise en œuvre devient problématique. Cette période de gestation peut être assez délicate si elle se heurte à des obstacles juridiques ou administratifs, qui peuvent impliquer des transformations de l’appareil législatif, ou l’aménagement des pratiques administratives. Il faut parfois recruter du personnel, former des compétences nouvelles.
-6) La mise en œuvre opérationnelle et pratique. Cette phase, qui n’est pas toujours la plus longue, peut soulever des problèmes inattendus et impliquer de nouvelles boucles de décision
-7) L’impact, les effets, la matérialité de la mise en place des nouvelles dispositions.
-8) La mesure des résultats, de l’efficacité de la politique, parfois de façon “froide“, par des mesures évaluatives, parfois de façon “chaude“, par une prise de parole de la société elle-même, qui peut éventuellement faire appel à du travail de prospective “itinéré“, ou chemin faisant
-9) La relance d’un processus collectif de préparation à la décision, d’inflexion de la politique mise en œuvre, et de ses résultats, son efficacité, en terme évaluatif.
C’est dans cet univers de mise à distance de la question des politiques publiques que le discours de prospective prend sa place…
7) Les raisons de l’intérêt croissant pour la démarche de prospective dans les territoires
Si une société locale doit tout d’abord s’efforcer de “fonctionner”, de répondre aux aspirations élémentaires d’une société, elle doit « penser » afin de définir une stratégie d’action et une vision partagée de son devenir. Elle doit « penser pour agir » et pour définir un sens collectif qui est le substrat de l’action, ce qu’il est convenu d’appeler un projet
La « pensée stratégique », dans le champ territorial, est la chose la plus banale et ancienne qui soit. A l’époque de Colbert, Vauban faisait déjà de l’aménagement du territoire: la carte actuelle de la France, en terme de limites frontalières, correspond dans ses grandes lignes aux places fortes que cet architecte-ingénieur hors pair a bâti sur l’ensemble du pourtour du territoire national de l’époque, y compris sur ses façades maritimes, face aux risques d’invasions par voie de mer. En d’autre terme, la planification de l’organisation du territoire est une ancienne et constante doctrine de l’Etat en France, et qui a été servie par des générations d’ingénieurs, ceux de Ponts et Chaussés, des Eaux et Forêts etc..
La planification territoriale est une activité qui a marqué en particulier l’existence des systèmes urbains depuis des siècles, et qui continue, dans des formes nouvelles, à se développer. Ainsi en est-il de l’élaboration des S.C.O.T., des P.L.U. et des D.T.A….
Mais, c’est précisément à ce niveau que la question du lien entre l’action prise au sens de programmation et la pensée au sens d’élaboration de stratégies, ou d’activité de management territorial, pose un problème.
En effet la culture de la planification est une culture “fermée“: on suppose que l’on peut maîtriser la dynamique d’une réalité, d’abord en la mettant en scène, comme une maquette de la réalité, un peu à l’image d’un modèle réduit dont on voudrait se servir pour comprendre pourquoi telle ou telle fonction ne satisfait pas les objectifs que l’on attend d’elle. Les diagnostics jouent souvent ce rôle. Le problème de la planification sur base prévisionnelle, c’est qu’elle suppose que le futur est la reproduction à l’identique de ce qui a prévalu jusqu’alors, avec seulement une différence de dimension, mais pas de « nature ».
Mais dans un monde instable, incertain, et de plus “à rationalité limitée“, ce qui est le cas de l’univers dominant actuel, dans lequel aucun acteur n’a une visibilité claire et certaine de l’ensemble des jeux possibles entre les différents acteurs, l’analyse prévisionnelle apparaît comme un mode de penser le futur largement dépassé.
De fait, ce mode de pensée est de plus en plus contesté. La fin de l’ère Plan-Prévision est concomitante avec l’émergence d’une autre période, la période Plan-Prospective, ou encore Programmation-Prospective.
Ainsi, l’époque où l’on programmait des investissements considérables, comme le cas des Villes Nouvelles de l’Ile-de-France, sur la base d’une activité prévisionnelle non critiquée, est largement révolue : le manque de moyen oblige à faire des choix plus judicieux, à être « plus intelligent si l’on veut : la prospective est l’outil privilégié de cette intelligence collective retrouvée.
Longtemps, la planification, urbaine par exemple, a consisté en l’extrapolation simple des tendances démographiques entre deux recensement antérieur à un horizon de vingt ans, sans se poser de questions sur le bien-fondé du type de croissance, sur les taux de croissance, sur la dynamique du champ sociétal et de ses liens avec le champ économique ou technologique, l’évolution des systèmes de valeur, le sens des choses. Ce type de rapport à la question du futur a eu pour effet de déprécier relativement cette activité. Ce silence de la pensée a généré la nécessité de se doter de nouveaux outils de travail, de nouveaux paradigmes pour fonder le discours sur la réalité et son devenir. C’est de ce point de vue que la prospective apparaît comme une réponse.
Non pas la réponse, mais comme une réponse qui n’esquive pas la question de la complexité du rapport du présent au futur, et à travers cela, la question du rapport à la décision collective à l’instant t. Ce qui permet de la situer par rapport aux tendances et aux processus dans le futur, et vis-à-vis des logiques du souhaitable et du désirable
Autrement dit: est-ce qu’une société (locale) peut se projeter dans le futur, et ensuite, est- ce que, compte tenu des contraintes actuelles et des marges de manœuvres supposées dans une temporalité à venir, il est possible de « penser » un projet déterminé, spécifique et original, et enfin, est-ce qu’il est possible d’en tirer des logiques de choix pour orienter le « système » actuel dans une direction dont le sens résulte d’une réflexion et d’une pensée stratégique.. Cette hypothèse est une hypothèse lourde, difficile à concevoir, et à mettre en œuvre.
En effet, quand nous disons que les territoires doivent se mettre en situation de “penser“ leur devenir, nous voulons dire qu’ils doivent se doter d’un ensemble d’outils permettant de se doter d’une “vision“, d’une représentation de leur situation, de leur potentiel, de leur place ou de leur position. Mais toute la difficulté tient au fait dans le système socio-politique actuel dominant, qu’il existe une forte tendance à dissoudre toute tentative d’expression collective des enjeux, et d’enfermer les pratiques collectives dans l’univers de la vie sociale privée.
Il est difficile dans ces conditions de faire émerger un projet collectif d’intérêt commun, et ensuite de le faire porter par un jeu d’acteurs suffisamment cohérent pour que l’intention se traduise en processus de mise en œuvre.
Sans « pilote dans l’avion », ni renvoi à une scène publique qui donne une légitimité au discours collectif, il y a peu de chance pour qu’une intention collective sérieuse puisse voir le jour, ni qu’elle se traduise par une modification de l’ordre des choses. La prospective n’a de sens, dans le domaine territorial, que si la pensée du futur peut se transformer en processus pour atteindre le futur souhaité. Encore faut-il qu’il y ait un « espace » permettant de faire un mouvement de va et vient entre le présent comme vécu et un futur comme besoin et comme désir d’autre chose, et entre les deux, des acteurs et des pouvoirs pour basculer de l’un à l’autre. Dès lors que la scène publique considérée comme l’interprète de l’intérêt commun se dissout, ou n’est plus qu’un cadre parmi d’autre, la prospective comme représentation d’une pensée qui précède et qui fonde l’expression volonté collective, n’a plus grande signification.
Ainsi la prospective comme outil de la connaissance et de recherche des solutions les mieux adaptées à une situation donnée, entre dans le champ du pilotage en ambiance complexe et agité. Par petite brise et mer tranquille, point n’est besoin d’une activité de prospective. Mais par mer agitée, il convient de comprendre autrement pour agir autrement… Cependant, il convient de préciser la nature des changements dans le champ de préoccupation des acteurs, et les implications de celles-ci dans le champ des réponses des spécialistes ou des experts en prospective territoriale.
Le fait est qu’il existe dans les territoires, une tendance à donner une importance croissante à l’activité de prospective. L’intérêt, voire la fascination mêlée d’appréhension pour la prospective territoriale s’explique pour diverses raisons.
Nous retenons six facteurs d’explication de ce renouveau de l’intérêt pour la prospective :
1° L’évolution des logiques de pilotage de la société civile.
Dans de nombreux Etats – Nations, y compris ceux qui sont porteurs d’une longue tradition de centralisme, comme la France, la conscience selon laquelle on ne pilote pas un pays moderne comme une armée de soldats le petit doigt sur la couture du pantalon, devient une sorte d’évidence. C’est la capacité d’initiative des individus, la responsabilisation des citoyens, la forte capacité de réactivité de chacun dans le moindre recoin du territoire, qui fait la force d’un territoire, et donc la force ou la richesse des nations.
Aussi, les Etats sont amenés à décentraliser, déconcentrer, renforcer les capacités de réflexion et d’action des acteurs à la base, ce qui implique que les territoires, comme cadre et support et phénomènes sociétaux localisés, soient viables et pertinents. De fait, dans un pays comme la France, la loi sur la décentralisation de 1982, dite Loi Deferre, a ouvert un nouveau chapitre dans l’histoire des relations complexes qui relient l’Etat central auxcollectivités territoriales. Ce processus, qu’aucune alternance politique n’a remis en question depuis, sinon sous forme d’une tendance à la re-centralisation rampante de certaines administrations publiques d’Etat, qui semble avoir des difficultés pour passer d’un modèle hiérarchique à un modèle coopératif, et en somme, pour entrer dans l’ère de la complexité, s’est globalement traduit par une autonomie croissante des instances publiques infra nationales dans l’expression de leurs attentes collectives.
Finalement, le mouvement de balancier va à nouveau dans le sens d’une décentralisation accrue, bien que, de façon paradoxale, le « vieux » système centralisé ait retrouvé récemment un regain de popularité à propos des réformes, pourtant bien nécessaires, de l’Education dite nationale, dans le sens d’une meilleure articulation aux enjeux locaux/régionaux du développement, tout en conservant le socle commun et universel des diplômes.
Or, ce tropisme allant dans le sens d’une recherche allant dans le sens d’une identification et d’une autonomisation croissante du champ territorial, notamment dans l’univers des représentations, est à l’origine d’un courant assez puissant en faveur de la prospective. Sans autonomie de pensée et d’action, la prospective n’a aucun sens, sinon comme exercice gratuit, parce que la prospective, pour se déployer, a besoin d’un certain degré de liberté préalable, comme levier pour la construction des marges de manœuvres futures. Or, le fait même de faire de la prospective dans les Régions contribue à la fois à crédibiliser les institutions régionales l’entité régionale, le phénomène régional. La prospective, parce qu’elle questionne le devenir régional, le met en chantier, et renforce par là même le principe de territorialité régionale. Paradoxalement, elle lui donne du sens en la mettant en question, en n’hésitant pas à “rebattre les cartes“ du devenir régional.
2°La compétition inavouée entre les territoires.
C’est le corollaire du point précédent: si les Régions sont plus autonomes, et dans des degrés divers selon les pays, elles sont aussi de plus en plus en compétition les unes par rapport aux autres, aussi bien au sein des Etats-Nations qu’entre eux, parfois de façon ouverte, mais le plus souvent de façon larvée, en demi-teinte.
L’enjeu principal auquel sont confrontées actuellement les Régions des pays développés, c’est savoir comment s’appuyer sur leurs ressources endogènes ou spécifiques pour capter et acclimater les processus de la globalisation, s’insérer dans les processus décisionnels de la mondialisation, en constituer des relais, assimiler les mécanismes qui sont à l’origine de la recomposition incessante des systèmes productifs à l’échelle mondiale.
Et cela, au sein des secteurs d’activités dominants comme des secteurs en émergence, pour mieux rebondir au niveau local, et se transformer en force de proposition..
L’enjeu second, mais pas secondaire, c’est de savoir comment préserver son identité, ne pas perdre son âme dans une confrontation dans laquelle les territoires les plus fragiles, les moins sûrs de leur histoire, de leur identité, risquent de se transformer en quasi “clones” de la mondialisation.
Or ces territoires peuvent fort bien, après une phase d’euphorie, se retrouver en difficulté, dès lors que les mouvements erratiques de la mondialisation prennent des chemins technologiques différents qui les engagent sur des trajectoires de croissance économique non adaptées à leur situation, ou qui impliquent la “consommation” d’espaces et de territoires nouveaux, selon un mode marqué par une tendance du “système” à fonctionner selon le principe du chasseur prédateur.
L’adaptation pour l’adaptation, qui peut être légitime à court terme, peut se révéler être un piége à long terme. Ce sont finalement les territoires qui ont la plus forte personnalité qui s’en sortent le mieux, parce que, au lieu de coller aux tendances dominantes, ils apportent en définitive au monde des idées ou des concepts nouveaux, deviennent des “phares”, des innovateurs, des “foyers d’innovation” autonomes, sans se contenter d’imiter et de reproduire les idées dominantes.
3° Le poids croissant des contraintes externes sur les territoires.
Les effets d’influence du monde sur les territoires sont directs, quasi-instantanés. Les Etats – Nations ont longtemps joués le rôle de coquille, d’écran et de filet protecteur pour les territoires et des régions qui le composent, vis-à-vis du monde extérieur. Inversement, la forte présence de l’Etat – Nation, quasi-intercesseur obligé entre les territoires et le monde, lui permettait de s’assurer le contrôle des éléments les plus turbulents ou les moins fiables de la classe “nation”. Or cette coquille, ce filet protecteur, est de moins en moins perceptible: Le monde frappe à la porte des territoires. Entre le monde et le niveau local et régional, il n’y a plus guère que l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette.
Les Régions doivent réagir rapidement, sans attendre une hypothétique prise en charge par le niveau supérieur.
Et puisque les enjeux de la globalisation touchent directement les régions, elles sont amenées à se doter d’outils nouveaux, notamment les outils de la réflexion et de l’action stratégique
4° La question de la régulation.
La régulation au sein des instances économiques et sociétales par le politique, se fait de façon chaotique au niveau mondial, de façon partielle et déclinante au niveau national, sans que le niveau de substitution européen paraisse convaincant. Or, le niveau régional, voir local, est de plus en plus amené à jouer un rôle essentiel dans le management des politiques de régulation et il est clair que c’est l’une des raisons majeures de ce qu’il est convenu d’appeler l’acte « deux » de la politique de Décentralisation. On peut à cet égard parler d’un niveau “méso” de la régulation, ce qui implique, là aussi, de repenser la question de la taille critique des territoires si l’on veut éviter l’émergence de trop grandes disparités entre les territoires. L’actuel débat sur la recomposition possible des territoires dans le cadre de la nouvelle loi organique sur la décentralisation, en cours de préparation, pose de façon indirecte ce problème, qui est un vrai problème de gouvernance globale.
5° La recherche d’une nouvelle pratique de la délibération dans le champ démocratique.
La tendance au déficit de débat public au sein des sociétés modernes, de plus en plus prisonnières des processus d’individualisation des agents et des acteurs sociaux a pour conséquence la recherche de voies nouvelles dans la relation gouvernants-gouvernés. A cet égard, la prospective, bien qu’elle soit parfois entraînée vers une sorte de privatisation du discours entre les mains des experts et des acteurs décideurs, constitue un instrument privilégié du dialogue social, de la démocratie vivante, et d’une communication authentique entre les acteurs élus et les citoyens.
Les élus peuvent rechercher les conditions d’une co-construction d’un projet de territoire avec des habitants, qui, las de se voir cantonnés dans le rôle d’alibi démocratique, ont de plus en plus tendance à s’impliquer directement dans les débats publics concernant leurs espaces de vie quotidienne. On peut parler à ce sujet d’une seconde forme de légitimité démocratique, à côté de la légitimité traditionnelle, dite représentative.
On note d’ailleurs une plus forte présence des femmes dans ces réunions, par exemple celles qui ont lieu récemment dans les séances de concertation préalable à l’élaboration du P.L.U. parisien, au niveau des Conseils de Quartier (Il y en a 169 à Paris intra-muros) de la ville de Paris. Des réunions qui suscitent un intérêt incontestable et qui représentent une sorte de « printemps de la démocratie » dans la ville-capitale. La prospective favorise l’émergence d’une sorte de nouvelle alliance citoyenne en reliant deux domaines habituellement séparés, la connaissance et le débat. Ainsi, la prospective est un élément de cette nouvelle “agora“ moderne dont rêvaient les grecs anciens.
6° La crise de la décision publique.
Les politiques publiques sont souvent décalées par rapport aux enjeux réels, et le temps d’élaboration des politiques publiques, hors d’échelle par rapport aux exigences de réactivité des systèmes publics. Trop lent, trop sectoriel, trop vertical, pas assez bottom-up.
La prospective, qui est par essence fondée sur la complexité, ainsi que sur la reconnaissance de l’importance de la notion de réseau, à la fois dans sa forme délocalisée, a-spatiale, et spatialisée, localisée, permet ou favorise, une tentative de recombinaison locale et territoriale des politiques publiques. L’entrée par la base, le local, longtemps considérée comme secondaire, voire marginale, tant à s’élever dans les niveaux d’exigences collectives, ce qui se traduit par des remises en causes profondes des modes d’action de la puissance publique, et qui a pour effet de renforcer les niveaux intermédiaires entre le niveau national (ou européen) et le niveau micro-local. Il y a là un vaste chantier dont on ne commence que maintenant à saisir les contours, et qui suscite naturellement une forte activité de prospective, et dont on voit la trace dans les débats portant sur les “grandes régions“.
8) La prospective territoriale comme univers de travail
La prospective territoriale est un outil d’anticipation : anticiper les changements pour mieux s’y préparer, et pour mieux les accompagner. Elle cherche des réponses à quatre types de questions:
1 Quels sont les enjeux du futur ?
- Que pourrait-il advenir selon les contextes ?
- Que souhaitons-nous faire ?
- Qu’est ce qui peut être fait effectivement ?
- Quels sont les enjeux du futur. Quelles sont les questions-clés qui font problème aujourd’hui dans une perception tournée vers le questionnement du futur, et dont l’évolution peut prendre la forme d’une continuité temporelle, d’une rupture, positive ou négative entre aujourd’hui et demain, ou d’une d’émergence nouvelle à partir de simples indices perçus dans la réalité actuelle.
La question des enjeux recouvre celle de la connaissance de la réalité, elle s’appuie sur des diagnostics approfondis et ouverts sur les tendances à l’œuvre, et sur la recherche sur les questions décisives, là ou le quotidien a un effet de « brouillage » et d’obscurcissement des phénomènes…
- Que peut-il advenir selon les contextes ? L’avenir est imprévisible. C’est pourquoi il faut l’envisager, l’anticiper. C’est un domaine à explorer.
La prospective, sur la base des diagnostics et d’une identification des enjeux pour l’avenir, cherche à mettre en évidence une variété de futurs possibles pour un territoire à des horizons donnés. C’est l’exploration des possibles selon une démarche inductive sur la base de la construction d’hypothèses.
- Que voulons-nous faire ? Quel territoire voulons-nous à 20 ou à 30 ans ? L’avenir est un domaine à construire, c’est un projet virtuel, et la prospective est un outil de mise en scène des discours, elle dit tout haut ce qui se pense à demi mot. La prospective dite normative cherche à élaborer collectivement un avenir voulu, désiré, mais réaliste : le ou les visions susceptibles de se transformer en stratégie d’action. Il s’agit de fixer un cap à atteindre à un horizon donné. C’est la prospective des finalités, qui pose le territoire comme projet ou comme objet d’un projet et donc, qui pose la question de l’être collectif. C’est une question éminemment politique, que la prospective pose selon un mode non politique.
La prospective est un outil technique, elle aide les collectivités à penser leurs désirs, mais elle ne se substitue pas à l’acteur pour exprimer ses désirs. La prospective est une assistance technique à penser l’avenir, pas à penser l’avenir pour les autres. Sa démarche est déductive. Si nous voulons atteindre tel objectif à tel horizon, quelles sont les conditions pour y parvenir, les trajectoires du possible, du souhaitable et du désirable ? La prospective est un laboratoire social vivant.
- Qu’est ce qui peut être fait et comment faire ? La question relève de la stratégie, le fil rouge qui fixe les moyens, les programmes et les étapes à suivre pour parvenir à concrétiser l’avenir voulu. C’est la prospective du faire, de l’agir, de la faisabilité opérationnelle. Ce n’est pas un plan, c’est une recherche sur les hypothèses des conditions pratiques pour parvenir à l’objectif souhaité dans un univers de contraintes et d’incertitudes. Le plan, la programmation est un autre univers.
Le fait de faire découler le plan de l’activité de prospective lui donne une base plus solide, mieux discutée, elle « rebat les cartes ». La prospective n’est pas contradictoire avec le plan, elle fait passer « le rêve au crible de la réalité ».
8. Les enjeux spécifiques de la prospective territoriale.
8.1 Anticipations et temps longs territorialisés dans la construction des options durables de développement local et régional
La prise en compte des temps longs dans l’élaboration des politiques territorialisées du développement durable est un facteur clé de changement de cap réel des chemins de développement des territoires. En effet, les territoires sont l’expression de phénomènes et de processus, ils ne pas seulement des lieux, des cadres dans lesquels il se passe quelque chose. En tant que phénomènes et processus, les territoires ont leur logique propre, qui ne sont pas les mêmes que les logiques qui traversent les territoires, comme les question sociétales et les questions économiques, ou les questions institutionnelles. Les territoires rendent compte d’une dimension complémentaires, ce n’est pas la somme de ce qui se passe sur les territoires. Or cette dimension, ce « plus », c’est l’articulation de toutes les logiques qui les traversent, dans des formes spécifiques d’un lieu à l’autre. Un territoire, c’est une combinaison spatialisée de facteurs et de processus, selon une clé particulière, spécifique, en général unique d’un territoire à l’autre alors même que les composants de base sont souvent les mêmes : tout est dans la pondération des facteurs, de leur poids relatif, des modes d’interaction particuliers entre les facteurs internes et entre les facteurs internes et les facteurs externes..
Or, la « clé de la clé » pourrait-on dire ne peut s’appréhender qu’à travers la connaissance des processus dans la durée, dans le temps. Il s’agit aussi bien du temps passée, écoulé, stratifié dans des formes, des paysages, que le temps actuel, qui traduit le mouvement des choses, c’est-à-dire des pratiques sociales, économiques, culturelles, sur l’espace, l’espace en mouvement si l’on veut, que le temps à venir, le temps, au sens d’usage du temps, qui est le cadre susceptible de créer de nouvelles organisations, de bâtir au sens propre et au sens figuré les conditions de vie et de la vie de demain, de résoudre des problèmes (mais aussi d’en créer de nouveaux..), de faire des choix, d’avancer et de faire bouger les facteurs et les processus hérités du passé. Il y a une boucle entre les temporalités passés et futurs. On ne peut construire la territorialité de demain que par la saisie, la connaissance, le travail sur la territorialité écoulée ou actuelle. Un développement durable territorialisé implique d’effectuer une sorte de catalyse entre l’héritage, les tendances actuelles, les tendances émergentes, les risques du futur, les visions alternatives, la connaissance des temps de réalisation possibles des options nouvelles afin qu’elle marquent le paysage et les organisations territorialisées
8.2 La question des systèmes et des théories de la complexité
Un territoire, comme combinaison spécifique entre des facteurs et des processus représente un ensemble cohérent, une réalité. Mais cette réalité, cette combinaison de facteurs est variable d’un territoire à l’autre. La comprendre est une clé fondamentale pour, ensuite, orienter les territoires dans une voie nouvelle. La question est de savoir comment appréhender cette réalité, ce « système ». Les théories de la systémique et les méthodes développées pour comprendre les territoires en tant que système sont utiles.
Or, on remarque que la prospective, parce qu’elle vise l’exercice d’une pensée globale d’une réalité donnée, est très orientée vers la connaissance systémique de la réalité. D’ailleurs, dans tous les exercices de prospective, on retrouve cet effort de représentation systémique de la réalité, qu’il s’agisse des matrices d’analyse structurelle ou des analyses morphologiques (Cf le manuel de prospective stratégique de Michel Godet pour le détail des méthodes).
L’une des grandes difficultés dans ce domaine est de saisir les conditions du lien entre un système territorial donné par rapport à son contexte. Car, un système territorial n’est pas une île, il vit dans d’autres systèmes, qui sont en général des systèmes dominants, au sens ou ils dominent les système territorialisés ou leur sous-ensembles : l’économique externe domine l’économique interne. Le sociétal externe domine le sociétal interne ; l’institutionnel externe domine l’institutionnel interne. Les systèmes techniques externes dominent les systèmes techniques internes. Etc. Au point que l’on pourrait se demander s’il existe des systèmes internes un tant soit peut indépendants des systèmes externes. A la limite non, sauf que, précisément, c’est l’agencement entre les formes localisées de ces différents systèmes sous dépendances externes qui constitue la base de la forme de l’autonomie du territorial par rapport au monde extérieur. Or cet agencement et ses conditions d’organisation dépendent lui- même de plusieurs facteurs. En particulier, ils dépendant de la faculté des territoires à construire une architecture de système spécifique d’un territoire à l’autre. Dans un territoire global, disons un Etat-nation, dans lequel les territoires n’ont qu’une marge d’autonomie réduite du fait du cadre institutionnel,ils ont évidemment une capacité d’élaboration de cette architecture de système moindre que dans un territoire global, un Etat-nation dans lequel il existe des marges importantes. A la limite, l’absence d’un Etat-nation se traduit pas des marges très importantes, mais pas forcément infinies.
Mais la spécificité de cet agencement ne dépend pas uniquement et sans doute pas principalement de ce facteur institutionnel. Il dépend, sans doute plus profondément de la relation entre l’histoire de l’organisation des appareils sociétaux locaux par rapport au reste du monde, l’expérience de la capacité d’un territoire à réagir face à des impulsions ou des contraintes qui viennent du reste du monde.
C’est l’histoire de la réalité globale endogène d’un territoire face aux pressions du monde, aux différentes époque du temps qui permets sans doute de comprendre ce qu’il est à un moment donné, et comment il est susceptible de réagir dans les années à venir. Et, autre facteur, la façon dont un élément du contexte, par exemple un élément mutant, disons une nouvelle technologie qui s’impose brutalement, comment facteur mutant relayé à l’intérieur du système local comme une globalité. Par exemple, comment un nouveau système technique est pris en considération par les entreprises locales, par le système éducatif local, par les acteurs de l’aménagement local, et quels sont les des délais de réaction du système global/local face à l’avènement d’un nouveau système technique, sachant que chaque sous- système local aura tendance à réagir à sa façon, à son rythme, et avec une intensité variable, allant du désintérêt complet à une mobilisation forte.
Il n’y a pas de raisons de penser que tous les sous-sytèmes locaux vont réagir en même temps à l’impulsion externe. Ce fait est accentué, voire aggravé, lorsque le système global local n’a qu’une existence limité en tant que tout systémique autonome, et quand l’évolution de ce tout systémique dépend d’un autre tout systémique supérieur au premier.
Ainsi, pour prendre l’exemple du développement durable, nouvelle doctrine de développement et du développement, selon que nous sommes en présence d’un territoire qui ne dispose pas d’autonomie intellectuelle pour penser ce concept, ou dans un territoire qui s’est donné les moyens intellectuels de cette pensée, le résultat sera très différent, en terme d’intensité et de réactivité..
A cet égard, l’activité de prospective peut contribuer à l’éveil des acteurs globaux/locaux, à une prise de conscience qui va leur permettre, plus rapidement que si ces exercices n’avaient pas lieux, d’intégrer cette dimension à l’ensemble de leurs activités, et d’infuser cette dimension dans l’ensemble de systèmes et des sous-système locaux.
C’est ce que nous apprenne les théories de la complexité, à savoir les mécanismes sociétaux de la diffusion d’un risque nouveau, comme des éléments de réponses à ce risque. Un facteur pratique doit être rajouté à cet ensemble. La richesse systémique des territoires est très variable d’un territoire à l’autre, et cela, toutes choses égales par ailleurs. Or cette substance, cette « composition » systémique, est une donnée essentielle du problème de capacité de réponse d’un territoire face aux impulsions externes. Autrement dit, tous les territoires ne sont pas « armés » de la même façon faces aux défis de la pression du contexte, d’où l’enjeu de la connaissance.
8.3. Un problème clé : le lien entre prospective et planification
La prospective territoriale est un outil important pour l’aménagement du territoire. C’est un outil utilisé depuis longtemps, mais qui a considérablement évolué au cours des dernières années. Hier, instrument dans les mains de l’Etat, c’est aujourd’hui un instrument qui s’utilise au plus près du terrain. Dans les années 70 et 80, la prospective s’apparentait à la planification, et avait une finalité prévisionnelle.
Elle visait à définir des trajectoires linéaires de développement, en supposant que les intentions, les objectifs, une fois déterminés et mis en oeuvre, devaient forcément produire le ou les résultats attendus. Une sorte de confiance en l’avenir, doublée par une confiance dans les instruments devant permettre d’atteindre les objectifs visés était de rigueur. La planification a ainsi donné naissance à des instruments de programmation.
Aujourd’hui, dans un contexte plus aléatoire, caractérisé par de forts degrés d’incertitude sur les tendances du contexte, sur la disparition progressive de leviers d’action traditionnels dans le secteur de l’aménagement (les appareils publics et para publics sous l’autorité de l’Etat notamment), sur les incertitudes qui pèsent sur les comportements et les pratiques sociales des ménages dans un territoire donné, sur la difficulté des acteurs publics à trouver les bonnes aires de pertinences territoriales, et de leur faire correspondre des territoires de l’action, la planification trouve ses limites.
De plus, la difficulté à coordonner les jeux d’acteurs, alors qu’ils perdent en lisibilité et fonctionnalité, la nécessité d’associer les habitants et les citoyens à la prise de décision en amont, de façon à éviter les effets en retour négatifs sous forme d’oppositions de toute sorte, la nécessité d’adapter les politiques publiques en « temps réels », tous ces facteurs obligent à une refonte à peu près complète des outils de la planification urbaine et des territoires.
9. Les principales étapes des études de prospective
-10.0. Une étape de formulation de la problématique et des raisons de réaliser une étude de prospective. Cette étape précède en général le lancement effectif de l’opération et renvoie à un débat interne au maître d’ouvrage (qui peut impliquer une aide extérieure, sous forme d’une étude de préfiguration). Cette étape prend souvent du temps, plusieurs mois, parfois plusieurs années, elle permet de passer une intention à une formalisation de la problématique, et met en scène l’acteur politique ou les décideurs, sur les finalités réelles de l’action (autant que l’étude de prospective)
-0. Une étape « zéro » de construction d’un exposé des motifs pour justifier la réalisation d’une étude de prospective et se poser la question de savoir pourquoi engager un processus de prospective : la « genèse » de l’activité de prospective
-.1 Une étape 1 de formulation d’un état des lieux (ou diagnostic) dans laquelle figure :
-1.1. La synthèse des documents techniques existants et des entretiens avec les élus, les services et différents acteurs de la société civile locale
-1.2. La mise en place d’ateliers participatifs d’analyse des différents enjeux et des champs thématiques sur une base de diversité de milieux sociaux ou professionnels
-1.3. Un débat collectif entre les participants aux différents ateliers, de façon à avoir une vision d’ensemble, sans débat public élargi à ce stade, sur les premiers constats
-.1.3 Une information aux élus pour validation des premiers constats.
Cette étape est essentielle, et prend en général plusieurs mois. C’est dans ce cadre qu’à leu la formalisation des enjeux et que s’opère la représentation systémique de l’objet d’étude, préalable indispensable à la construction des hypothèses de la phase de prospective proprement dite
-.2. Une étape 2 de prospective participative avec :
-.2.1. La mise en place d’un atelier de prospective dans lequel le diagnostic est mis en débat approfondi sur les tendances, la réalisation d’un travail collectif de prospective exploratoire : qu’est ce qui est susceptible de se passer toute chose égale par ailleurs, qu’est ce qui pourrait se passer selon différentes hypothèses contextuelles, et un travail collectif autour de la mise en évidence de scénarios de prospective normative : qu’est ce qui pourrait se passer en fonction de l’expression des souhaitables et des volontés collectives ; et qu’est ce qui devrait pouvoir se passer au vu des tendances, des éléments de contexte et de l’expression des volonté collective, le « cône des souhaitables à l’aune des possibles » ?
-.2.2. Un débat collectif tendances-scénarios
-.2.3. Une « duplication » des ateliers de prospective à un niveau local dans le cas de grands territoires
-.2.4. Dans ce cas, un retour vers le groupe de référence central et la production d’un rapport soumis aux acteurs et aux élus
-.2.5 Eventuellement, à ce stade, un débat public élargi.
-.3 Une étape 3, de définition des orientations stratégiques :
-3.1. La définition des enjeux prioritaires et des axes stratégiques en fonction des moyens et des ressources disponibles aux différentes échéances de la démarche, de l’instant t à t +5, t+10.
-.3.2 Le choix et la hiérarchisation des axes stratégiques prioritaires à court et à moyen terme.
-.3.2 Un débat public élargi sur les choix stratégiques retenus.
-.4. Une étape 4, d’établissement d’un programme d’action opérationnelle
-.4.1. Elaboration des programmes d’actions correctrices ou contributives à des aspects environnementaux en fonction des axes stratégiques retenus et des objectifs stratégiques visés
-.4.2. Validation et hiérarchisation des actions, sur la base d’un système multicritère, de chaque programme élaboré
-.4.3. Rédaction de fiches techniques par action opérationnelle validée
-.4.4. Débat avec les acteurs concernés sur les modalités de mise en œuvre des choix et des décisions
-.5. Une étape 5 de suivi/évaluation des actions engagées
-.5.1. Sur la base d’indicateurs préalablement mis en place en amont du programme d’action, il convient d’effectuer la mesure des actions engagées même si ces actions n’ont pas encore donnés tous leurs résultats. Mise en place notamment d’un système d’indicateur de veille, qui permet en temps réel de mesurer la distance entre les intentions les actions
-.5.2. Débat autour de ces mesures avec les acteurs et les publics concernées
-.5.3 Correction éventuelle des actions entreprises.
Conclusion
Le développement rapide de la prospective comme outil de la pensée et de l’action collective, du partage des idées, de la concertation comme méthode de travail, et la recherche de nouveaux leviers pour une gouvernance à la fois consensuelle et efficace, est la conséquence de l’inadéquation des outils traditionnels, devenus trop rigides, sinon obsolètes. On d’utilise pas le même véhicule selon que l’on se trouve sur un terrain solide et dégagé, ou sur un terrain ardu, difficile, alors que l’horizon est brouillé, incertain, saturé de risques et de dangers. La prospective, bien qu’elle soit elle-même en état de recherche sur les méthodes les plus appropriées, et sur la recherche des outils de la meilleure adéquation possible des moyens aux fins, est un outil de travail globalement plus adapté à « l’air du temps », elle représente un instrument plus efficace que la prévision pour comprendre et appréhender l’environnement toujours plus complexe qui est le nôtre actuellement, et pour longtemps sans doute. La prospective permet également de faire le lien entre les contraintes présentes de l’environnement contextuel et les contraintes propres à un territoire donné. C’est donc un cadre qui permet de penser les dynamiques du territoire dans un contexte de plus en plus ouvert.
La prospective prend d’autre part très largement en considération le long terme, dans le versant futur des territoires, mais aussi dans leur versant passé. Ainsi, elle permet de mettre en évidence les problématiques structurelles des territoires. Mais le long terme permet également de rechercher une nouvelle ambition pour les territoires, car, au long terme, correspond les grands projets d’aménagement en matière d’infrastructure et de grands équipements, mais aussi, la recherche d’une modification structurelle d’une économie locale pour la faire correspondre aux évolutions du contexte, et enfin pour construire une sorte de nouveau « contrat social » avec les habitants du territoire, sous forme d’un Projet de territoire qui fasse sens pour ses habitants, et leur servent de guide pour l’action collective, ce qui est son objet premier, mais également individuel.
La prospective est aussi un outil opératoire qui permet de penser la transversalité des politiques publiques. Dans ce domaine, le niveau régional doit être un lieu de débat public. Il permet de débattre des grandes orientations dans une démarche de concertation. La prospective permet enfin de positionner les territoires dans une géographie politique et économique élargie, alors que la concurrence entre les territoires est de plus en plus vive, de façon à permettre une coopération constructive avec d’autres territoires, ou avec les niveaux infra des territoires qui composent le territoire de référence.
C’est donc un outil de coordination, voire de préfiguration de la contractualisation avec d’autres partenaires. C’est au fond, un excellent outil de gouvernance stratégique territorialisé. Mais la démarche prospective s’accompagne nécessairement d’une méthodologie rigoureuse.
C’est une démarche qui demande de la discipline, des moyens, du temps, que l’on ne fait pas autour d’une table de café du commerce. Cette démarche peut comprendre des phases d’étude qui interagissent avec des phases d’action, puis d’évaluation, puis à nouveau d’étude, qui durent parfois plusieurs années, avant que les intentions recherchées permettent d’atteindre leurs objectifs, et de transformer la réalité. Elle implique de la patience et de la persévérance, ce qui n’est pas toujours compatible avec l’ambiance actuelle, dominée par le court terme, la recherche du résultat immédiat et la médiatisation de l’action collective.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]