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Journée Exploratoire du 9 mars 2021

Télétravail, une nouvelle manière de travailler ?
Télétravail, un nouveau rapport au travail ?
Télétravail, un nouvel équilibre de travail ?

Introduction 

Il ne fait guère de doute que la crise sanitaire va laisser des traces durables sur la façon de travailler, que ce soit en raison des incitations à l’innovation que provoque toute crise majeure ou par simple effet de cliquet. 

Alors qu’il a fallu qu’un virus conduise les entreprises et les administrations à mettre en place un travail à distance, de manière très précipitée, et que du jour au lendemain leurs salariés, du moins ceux dont la nature de leur travail le permettait, se soient retrouvés à travailler de leur domicile, il est important de se demander ce qui se joue réellement dans les univers de travail.

Certaines entreprises ont déjà trouvé leur compte avec le télétravail, en termes d’économies de locaux par exemple. Elles envisagent de prolonger l’expérience (au moins à temps partiel) ou de donner la possibilité à leurs salariés de travailler dans des espaces de co-working proches de leurs domiciles. Quant aux salariés, les enquêtes montrent qu’après avoir expérimenté cette forme de travail, ils sont prêts à la renouveler toutefois en définissant bien son cadre de mise en œuvre. 

La Société Française de Prospective a organisé le 9 mars 2021 une journée exploratoire « Télétravail, une nouvelle manière de travailler ? » qui avait pour objectif de tirer les enseignements de cette situation si particulière et d’analyser les impacts que ces pratiques peuvent avoir sur l’avenir du travail. Le télétravail va-t-il devenir une forme d’organisation du travail qui va s’imposer alors qu’il a longtemps peiné à séduire ?

Le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail, qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur, est effectué par un salarié hors de ces locaux, de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication. Dans la pratique, il peut s’exercer au lieu d’habitation du salarié ou dans un tiers-lieu, comme par exemple un espace de co-working, dans d’autres locaux de l’entreprise, de façon régulière, occasionnelle, ou en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure. 

Deux sessions avaient été proposées. La première portait sur les enjeux organisationnels et managériaux du télétravail.  La crise sanitaire a changé notre regard sur les modalités d’organisation du travail, dans l’espace et dans le temps (lieux et horaires de travail ; temps de transports) et d’insertion dans la vie privée des travailleurs et de leurs familles. Ce bouleversement au quotidien présage-t-il un nouvel avenir pour le télétravail ? Et si oui, à quelles conditions cette modalité d’organisation, potentiellement intrusive autant que libératrice, peut-être négociée ?

La deuxième s’intéressait aux enjeux juridiques et sociaux. Il s’agissait de se demander dans quel cadre juridique et social se développe aujourd’hui en pratique le télétravail dans l’ensemble des entreprises, collectivités, branches, secteurs en France ? A quelles conditions le télétravail pourrait/devrait se développer pour le mieux à l’avenir ?

Nous avons choisi de structurer cette synthèse dans un premier temps autour d’une mise en évidence des grands enseignements de cette montée en charge du télétravail.  Nous en avons retenu six.

Enseignements

Une acculturation certaine du télétravail et un cadre d’application modifié                                                                                                   

Eligibilité du télétravail et activités télétravaillables

Soutenabilité des activités télétravaillables

Une nécessaire articulation entre les modes d’organisation du travail                                         

Evolution du management                                                                                            

Un dialogue social à engager activement et largement

Dans un second temps, nous avons tenté de faire émerger, des propos tenus et des échanges lors de cette journée exploratoire, des thématiques prospectives. Nous en avons retenu quatre.

Thématiques prospectives

Changement de prisme, le télétravail devient la norme                                         

Quelle nouvelle organisation du travail et du management – dans la dimension individuelle et collective – ?

Repenser l’approche du temps de travail

 Impact de de la généralisation du télétravail sur l’organisation des temps sociaux et des espaces sociaux

Enseignements 

Une acculturation certaine du télétravail et un cadre d’application modifié                                                                                                   

En premier lieu, il est important de souligner que le télétravail n’a pas été inventé en 2020. Son histoire vient de loin.  On peut dire que c’est dans les travaux de Norbert Wiener, le père de la cybernétique, que dès 1948 cette notion apparaît même si on ne lui donne pas encore le nom de télétravail. 

Par ailleurs, le télétravail s’inscrit dans le processus d’automatisation et de numérisation du travail. La transition numérique se caractérise par la convergence des technologies de traitement de l’information. La transition numérique a pour conséquence tout d’abord une augmentation de l’Humain dans ses capacités physiques de présence à distance et d’interaction avec les hommes et les machines. Elle vient ensuite nourrir et faire exploser l’espace du virtuel qui s’accroît en portée, activités, capacités et performances. Il s’en suit une multiplication d’interactions possibles avec le monde physique numérisé et une complexification globale de l’espace humain d’activité. 

En second lieu, nous ne pouvons que constater une acculturation certaine du télétravail. Le travail à distance contraint, imposé a favorisé le changement de regard tant des employeurs que des salariés sur cette forme d’organisation du travail. 

Pour les employeurs, il y a eu une prise de conscience que :

  • Ce mode d’organisation du travail était possible du fait d’un apprentissage accéléré des technologies numériques ;
  • Qu’il pouvait concerner un nombre très important d’activités ;
  • Qu’il était un facteur d’opportunité de modernisation et d’attractivité pour l’entreprise, porteur d’un potentiel d’accroissement de la productivité et d’éventuelles économies de charges. 

Pour les salariés, cette expérience de télétravail forcée a entraîné un changement de perception de ce qu’il est et de ce qu’il permet, diminution des temps de déplacements bureau-domicile, découverte de nouvelles façons de collaborer, moindre fatigue, possibilité d’avoir plus de temps pour certaines tâches, d’utiliser plus souvent des outils collaboratifs ou encore de pouvoir avoir une plus grande autonomie dans le travail, voire, dans certains cas, une plus grande concentration et une efficacité accrues. 

Aujourd’hui, on peut dire qu’une culture partagée du télétravail s’est imposée, qu’il faut consolider et surtout encadrer.

La crise sanitaire a démontré que le télétravail, pour des emplois perçus a priori comme non éligibles, était pourtant possible. Le constat est posé : tout poste, lors de sa création et/ou modification, peut intégrer la possibilité que certaines activités et/ou tâches soient réalisables en télétravail. L’éligibilité doit se penser sur ce que serait l’exercice d’activités ou de tâches en télétravail d’où nécessité de réfléchir à la réalisation d’activités à distance, à l’appréciation des conditions pour rendre télétravaillables tout ou partie de l’activité du poste.

Le contexte légal du télétravail et plus globalement les rapports sociaux dans le travail doivent se repenser. Une première esquisse est ouverte avec l’Accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020 pour une mise en œuvre réussie du télétravail. Cet accord invite les entreprises, les salariés et leurs représentants à tirer les enseignements de la pratique du télétravail en cas de circonstances exceptionnelles durant la crise sanitaire par la réalisation de retour d’expérience, de diagnostic partagé pour mettre en évidence des conditions de mise en œuvre adaptées à l’entreprise d’une manière plus durable.  Il indique que le télétravail est mis en place dans le cadre d’un accord collectif ou d’une charte élaborée par l’employeur.  Il ouvre la question de l’éligibilité des postes ou des activités en précisant qu’une analyse préalable des activités éligibles est indispensable pour faciliter la mise en œuvre du télétravail. 

Enfin, il aborde la mise en œuvre du télétravail tant en période ordinaire qu’en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure. Ce dernier point est fort important et mérite d’être approfondi car il faut bien avoir à l’esprit que le télétravail prend plusieurs formes qu’il faut absolument distinguer.

Le télétravail peut être régulier et stable, c’est-à-dire défini et prévu à l’avance, il peut également être occasionnel en réponse à des besoins ponctuels et/ou imprévus. Enfin, il peut être mis en place dans le cas de circonstances exceptionnelles comme la menace d’épidémie, ou en cas de force majeure comme dans le cas d’un accident majeur.

Ce que nous avons vécu a permis de prendre conscience que le cadre juridique du télétravail doit absolument qualifier ces différentes formes (régulier, occasionnel, en cas de force majeure, exceptionnel) et leur mise en œuvre.

Eligibilité du télétravail et activités télétravaillables 

Selon le Ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion professionnelle, hors pandémie, plus de 4 postes de travail sur 10 sont praticables à distance. La situation sanitaire que nous connaissons depuis plus dun an recommande de recourir à ce mode dorganisation chaque fois que cela est possible. 

Pourtant et malgré cette recommandation, certains postes qui pourraient être « télétravaillés » ne le sont pas encore. Plusieurs raisons sont avancées par les entreprises pour expliquer cette difficulté à proposer le télétravail : le manque d’équipements permettant le travail à distance, labsence de maîtrise des compétences numériques de base par certains salariés, des craintes concernant une éventuelle perte defficacité ou de contrôle du travail réalisé à distance pour certaines fonctions, la perception que certaines fonctions ne peuvent pas être réalisées en télétravail et surtout le critère de lautonomie du salarié.

Cela questionne donc la manière dappréhender l’éligibilité au télétravail pour chaque salarié de l’entreprise. 

Plutôt que de parler de postes télétravaillables, il convient certainement mieux aujourd’hui de parler d’activités télétravaillables et didentifier au sein des organisations les activités qui se prêtent à ce mode dorganisation du travail.

En effet, certains salariés occupant des postes qu’on imagine a priori non « télétravaillables » peuvent néanmoins travailler depuis leur domicile pour réaliser certaines activités notamment de back office, de suivi de dossier ou encore pour résorber du retard.  Il apparait donc utile de raisonner l’éligibilité du télétravail par activité télétravaillable plutôt que par postes télétravaillables. 

Comme lindiquait Pascale Levet au cours de son intervention, il s’agit aujourdhui de passer dune définition de l’éligibilité du télétravail fondé sur le poste à une définition fondée sur lappréciation   des conditions pour rendre télétravaillable tout ou partie de lactivité du salarié. 

Pour cela, il apparait de plus en plus nécessaire de disposer au sein des organisations dune grille méthodologique permettant de rendre soutenable ou télétravaillable tout ou partie des activités, de rendre accessible le télétravail à lensemble du corps social. 

Soutenabilité des activités télétravaillables – les conditions dun télétravail réussi

La crise sanitaire actuelle a changé la perception sur le télétravail. Le baromètre du Télétravail publié par Malakoff Humanis en Février 2021 indiquait que 86 % des salariés en télétravail souhaitaient le poursuivre à lissue de la crise sanitaire avec un nombre de jours idéal de 2 par semaine. Cela est sans compter les salariés qui n’ont pas pu télétravailler mais qui le souhaiteraient si leur poste de travail ou une partie des activités de leur poste pouvait le permettre à l’avenir.

De plus, avec lallongement de la vie professionnelle, les questions de la santé sinvitent dans la vie professionnelle. Elles interrogent lorganisation du travail et les pratiques de management pour tenir ensemble « travail et santé » notamment quand les personnes ont le souhait de travailler alors même que leur santé est variable et incertaine dun jour à lautre influençant de facto leurs capacités productives au travail. Il en a été de même pour le télétravail au cours de la crise sanitaire où de nombreux salariés ont dû composer avec la présence des enfants ou encore travailler en dehors de leurs cadres horaires habituels.

Le développement massif du télétravail ouvre d’importantes perspectives de transformations. Rendre soutenable et durable les activités télétravaillables constitue ainsi un véritable enjeu pour les organisations et une formidable opportunité pour se moderniser.

Avec lexpérience menée grandeur réelle, il apparaît clairement que plusieurs conditions sont nécessaires pour garantir une pleine réussite du télétravail, maintenir les équilibres et limiter les effets pervers comme le développement des TMS et RPS ou encore le creusement des inégalités entre les télétravailleurs et non télétravailleurs.

La première condition qui apparaît comme primordiale est la nécessité de disposer des bons équipements (équipement informatique, équipement de bureau) pour travailler à la fois en présentiel et en distanciel afin de maintenir une culture partagée au sein de l’organisation et garantir de bonnes conditions de travail aux salariés que ce soit sur site ou en distanciel. 

La seconde condition est la nécessité de proposer des activités compatibles avec le télétravail dont la réalisation repose sur le volontariat du salarié et de l’entreprise. Pascale Levet a souligné dans son intervention qu’il pourrait être opportun d’envisager la mise en place d’une bourse de missions télétravaillables afin de permettre à chaque salarié qui le souhaite de pouvoir télétravailler.

Enfin, la dernière condition est la nécessité d’être inclusif au sein de l’Entreprise en pensant à la fois aux télétravailleurs mais également aux non télétravailleurs. Il s’agit pour cela d’organiser la proximité avec le distanciel en sécurisant la gestion du collectif, les coopérations entre les salariés et entre les salariés et les manageurs pour favoriser un travail de qualité.

Une nécessaire articulation ente les modes dorganisation du travail   

Le télétravail devient ainsi une modalité particulière de travail qui doit se réfléchir en regard des autres formes d’organisation du travail à l’œuvre dans l’entreprise ou l’administration. Les modalités de cohabitation de toutes celles-ci sont donc à examiner afin qu’elles puissent s’articuler. 

La mise en place du télétravail ne peut faire l’impasse d’une réflexion globale. Il s’agit de prendre en compte une nouvelle manière de penser le rythme de travail, de définir les différents temps entre le travail et la vie personnelle mais également de redéfinir les temps dans l’entreprise qu’ils soient individuels et collectifs. Le présentiel doit s’articuler avec le distanciel afin de préserver les fonctionnements collectifs et les organisations de travail. Des objectifs doivent être définitifs, des priorités doivent être donnés et les rôles entre les salariés clairement définis pour préserver la cohésion, maintenir le sentiment d’appartenance à l’entreprise et éviter la perte du lien social.

Au-delà de l’organisation du travail, c’est la posture du manageur qui est réinterrogée et doit évoluer passant d’un manageur sachant à un manageur chef d’orchestre.  

Evolution du management 

Pour le management, la problématique majeure du télétravail avant la crise sanitaire restait centrée sur les notions de contrôle de la productivité du salarié, dans le cadre du travail à distance. S’y combinait, s’agissant d’un droit essentiellement dérogatoire, et individualisé, une dimension d’égalité au sein des équipes qu’il dirigeait.

Si le télétravail en vient aujourd’hui, dans un grand nombre d’entreprises, et pour une large gamme de métiers, à s’imposer comme « modalité ordinaire d’organisation du travail », au même titre que le travail en présentiel, c’est d’abord parce que la crise a écarté les doutes sur la productivité du travail à distance. Une écrasante majorité de salariés a démontré une réelle aisance à télétravailler, tandis que dans le même temps les services informatiques parvenaient rapidement à rendre les applications et logiciels télétravaillables, et à équiper l’entreprise de logiciels conversationnels adaptés.

Aux gains de productivité directe (temps passé à réaliser une tâche donnée), se sont combinés d’autres avantages collatéraux : réinvestissement partiel des temps de transports économisés par les salariés en télétravail ; extension des plages horaires de disponibilité (qu’on l’apprécie au niveau individuel, ou plus encore au niveau d’une équipe : les salariés n’ayant pas les mêmes plages horaires, celle du collectif tend naturellement à s’étendre) ; réduction de l’absentéisme et des conflits interpersonnels.

Dans de nombreuses entreprises, le management doit donc envisager sereinement un télétravail concernant 70% des salariés, pour 2 à 3 jours par semaine. Le défi qui leur est dès lors posé est de trouver les moyens de gérer ces 30 à 40% de temps de travail total, désormais couramment réalisés à distance.

La première composante de ce défi renvoie à la confiance, reconnaissance de l’autonomie effective du salarié. Le manager se voit interrogé sur son style de management et de contrôle : en situation de télétravail, ce dernier ne s’effectue guère qu’ex post.

La seconde renvoie à l’exigence de disponibilité accrue du manager : en cas de difficulté, le salarié n’a plus en sa proximité de collègues sachant le dépanner. Sans organisation spécifique dédiée à cet effet, c’est au manager que les incidents et difficultés remonteront naturellement. Or sa charge de travail est déjà accrue, du fait de l’individualisation des situations de travail qu’il a à encadrer.

La troisième composante renvoie à la gestion relationnelle : sans possibilité de croiser ses salariés au fil de la journée de travail, le manager doit développer une attitude proactive envers ses collègues. C’est lui qui doit s’inquiéter d’eux, même et surtout lorsqu’ils ne donnent pas de nouvelles. Perdre de vue ses salariés, ne plus sentir leur humeur, leur état d’esprit, leur état de santé même, est un des risques évidents du télétravail durable. De même il lui revient d’assurer la bonne circulation de l’information nécessaire à la bonne marche du service. Délicate en régime de croisière, cette tâche devient particulièrement exigeante en logique d’imprévu, comme il s’en produit souvent dans une entreprise ou une organisation.

Enfin la quatrième composante, la plus délicate, renvoie à l’organisation et l’animation des temps collectifs du service. Une équipe en télétravail est en grave danger d’émiettement ou de dislocation : le repli sur les tâches de production directe est inhérent à la productivité spécifique des temps de télétravail. Dans un service privé de temps informels quotidiens, au moins pour la partie des salariés en télétravail fréquent, il revient désormais au management d’impulser des temps collectifs, de les rendre attractifs, à la fois productifs et conviviaux. Or le sens du collectif, mais aussi celui de la créativité, ne sont pas nécessairement l’apanage des managers…

Cette gageure est encore plus marquée dans les situations de travail qui requièrent de la créativité, individuelle ou collective. On sait en effet que celle-ci naît aussi de situations en logique de sérendipité, lesquelles se perdent ou s’affaiblissent du fait du télétravail d’une partie de l’effectif.

Les managers vivent donc une forte évolution de leur poste, les appelant parfois à des remises en cause non seulement dans leur fonctionnement, mais dans leur style même de management, donc dans leur manière d’envisager leurs rôles et comportements.

A terme, ils devront savoir gérer une relation de travail, sur un mode à la fois collectif et individualisé. L’individualisation des rythmes et lieux de travail suppose en effet un approfondissement de la relation managériale aux aspects personnels de la vie des salariés, mais dans le même temps impose de constamment balancer les aspects individuels de la gestion de chaque salarié, et les contraintes et nécessités collectives de la marche du service.

Ils devront donner une attractivité particulière aux espaces de travail, et aux temps de travail collectifs, à présence obligée, pour assurer leur réussite et leur productivité. Ils devront de même veiller à solliciter constamment ou régulièrement la créativité et l’apport individuel de leurs équipes.

Entre animation collective, proactivité dans la relation et la circulation de l’information, et gestion semi-individualisée des temps et situations de travail, la balance sera délicate, et la régulation prenante, en temps comme en disponibilité relationnelle et mentale. 

Un dialogue social à engager activement et largement

Le recours massif au télétravail contraint durant la période de confinement dès février 2020 a mis en lumière que le télétravail ne pourrait à terme se développer sans une révolution des relations sociales. Les exemples d’entreprises peu soucieuses de l’avis des représentants du personnel ont en effet bien montré que l’absence de dialogue social constructif de part et d’autre pouvait rajouter de la crise à la crise. En sens inverse, seul un dialogue social actif peut permettre de repenser l’organisation du travail (horaires, lieux, modalités), les interactions professionnelles, les conditions de travail et l’environnement du travail, la sécurité physique et mentale des télétravailleurs, comme autant de modalités indispensables à la bonne mise en œuvre d’un télétravail « en régime permanent ». 

C’est une telle prise de conscience qui a amené, après diverses péripéties et résistances de la part des employeurs, à la mise en chantier puis signature le 26 novembre 2020 d’un accord national interprofessionnel (ANI) intitulé « pour une mise en œuvre réussie du télétravail » par les trois organisations patronales (MEDEF, CPME et U2P), et quatre organisations syndicales (CFDT, CFTC, FO, CFE-CGC), la CGT n’étant pas signataire en raison de l’absence de caractère contraignant de cet ANI. Etendu par arrêté du 2 avril 2021, publié au JO du 13 avril, ses stipulations sont désormais applicables dans toutes les entreprises appartenant à un secteur professionnel représenté par les organisations patronales signataires. (Pour la fonction publique, une négociation est en cours sur la place et le rôle du télétravail depuis le 15 avril 2021 et devant aboutir d’ici à l’été).

Cet accord national clarifie l’ANI du 19 juillet 2005, conforté en 2012 par la loi Warsmann introduisant la notion de télétravail dans le code du travail, et reprend la modification introduite par l’ordonnance « relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail » du 27 septembre 2017 ayant supprimé l’obligation d’avenant au contrat individuel de travail pour pouvoir mettre en œuvre cette forme de travail de manière habituelle, sous réserve d’un accord collectif d’entreprise, d’établissement ou de groupe ou, à défaut, d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique, s’il existe. En l’absence d’accord collectif ou de charte, la mise en place du télétravail reste néanmoins possible par accord de gré à gré entre le salarié et l’employeur sous condition de double volontariat et de réversibilité et plus généralement du respect de cet ANI de 2020.

Sans nouvelles contraintes à l’égard des entreprises, cet ANI comporte de nombreuses recommandations, bonnes pratiques et conseils pour mettre en place de manière équilibrée le télétravail en période normale. Il indique également comment gérer sa mise en œuvre en cas de circonstance exceptionnelle, telle qu’une pandémie. Plusieurs points sont dès lors apparus comme particulièrement importants à négocier entre partenaires sociaux pour sa meilleure mise en œuvre dans les entreprises en direction d’un télétravail qui a toute probabilité de s’installer comme modalité durable à l’avenir.

1 – La distinction du télétravail en période normale et celui en période de circonstances exceptionnelles étant clairement posée, reste à définir ce qui peut être retenu comme circonstances exceptionnelles. Certaines s’imposent à l’entreprise (épidémie, conditions climatiques extrêmes, grèves), mais d’autres pourraient relever de la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise (pollution). Ce point est d’autant plus important que des différences notables peuvent exister entre télétravail régulier et télétravail exceptionnel au regard de l’éligibilité des salariés qui pourraient en bénéficier ou y être contraints, des moyens mis à disposition et de l’indemnisation des frais occasionnés, et même de la charge de travail à assumer ;

2 – La question de l’éligibilité qui se pose en effet dans tous les cas, en travail régulier comme en travail exceptionnel, doit s’entendre en termes d’activités exercées et non de métiers. Si aucun salarié ne doit pouvoir être catégorisé comme « non éligible », les critères pour assurer l’égalité de traitement entre salariés au regard des activités qu’ils exercent nécessitent d’être clairs et objectifs. De fait, l’ANI n’encadrant pas la définition des activités et des postes télétravaillables et n’obligeant pas à les lister, cette identification reste au niveau de l’entreprise, l’accord collectif pouvant être plus ou ouvert à cet égard en fonction du dialogue social prévalent ;

3 – L’adaptation des pratiques managériales au télétravail, la formation des managers (management et culture d’équipe à distance) et des salariés (accompagnement et période d’installation), le maintien du lien social, la prévention de l’isolement et des risques psychosociaux, la prise en compte de situations particulières (comme les aidants familiaux ou les salariés en situation de fragilité…) sont mentionnées dans l’ANI, ce qui n’était pas le cas dans celui de 2005 ou dans le code du travail, et constituent des rubriques particulièrement importantes sur lesquelles le dialogue social a légitimité à porter ;

4 – Il en va de même pour des aspects aussi importants que le nombre des jours télétravaillés et plus généralement du décompte des heures télétravaillées, de l’articulation entre contrôle et autonomie dans le travail, de l’organisation matérielle, des équipements et des espaces de travail à domicile et à l’entreprise pour le travail en présentiel qui demeure, de l’indemnisation des frais (dont le principe, qui avait été supprimé par l’ordonnance du 27 septembre 2017, est réaffirmé dans l’ANI) et du maintien ou non des droits et prestations en faveur des salariés en matière de frais de transport ou de restauration ;

5 – Les formes du dialogue social, vie des IRP, contacts avec les salariés de la part des organisations syndicales, modalités d’information, de concertation et de négociation, sont elles-mêmes impactées par le télétravail et peuvent/devraient donner lieu à des dispositions spécifiques dans l’accord à négocier au niveau de l’entreprise, y compris sous forme d’un comité de suivi paritaire de cet accord et de sa mise en œuvre. Se pose aussi à cet égard, l’intérêt de négociation et accord à explorer au niveau des branches, pour tenir compte des spécificités sectorielles des activités et permettre de couvrir la totalité des entreprises, y compris les plus petites qui sont moins à même de pouvoir le faire elles-mêmes.

Au total, toutes les dimensions (organisation du travail ; nature du management ; conditions du travail, à domicile comme à l’entreprise ou dans tel tiers lieu ; relations sociales de travail, autant individuelles que collectives) étant questionnées par le télétravail, l’importance et même la nécessité d’un dialogue social particulièrement large et actif en ce domaine en est d’autant plus fortement à souligner que cette nouvelle modalité de travail – au moins sous une forme « hybride » – va tendre à devenir la « norme » dans les entreprises.                                                                                                               

Thématiques prospectives 

Changement de prisme, le télétravail devient la norme 

Et si le télétravail devenait la norme ? Et si nous opérions un changement de prisme. Le télétravail ne serait pas un phénomène épisodique de notre histoire du travail du fait d’une pandémie mais une norme à diffuser. Le télétravail perçu comme une forme structurante possible d’un nouveau paradigme du travail. 

Pour cela, il faut bien avoir en mémoire la rétrospective du télétravail  qu’il faut articuler avec l’évolution du progrès technique, pièce en 5 actes. 

Nous avons le prologue, dès 1948, introduit par les travaux de Norbert Wiener, puis l’acte 1 en 1965, avec l’étude de la commission des transports de la ville de San Francisco qui estimait que, en quelques années à peine, plus d’un salarié sur cinq pourrait travailler chez lui. L’acte 2 débute dans les années 70, avec le développement des fax numériques et des autoroutes de l’information, et le premier mariage de l’informatique et des télécommunications dans la « télématique » pour reprendre l’expression forgée en 1978 dans le rapport Nora-Minc sur l’informatisation de la société.  The « Third Wave », essai paru en 1980 du futurologue américain Alvin Toffler, anticipait une vaste décentralisation du système productif. L’essor des technologies de l’information et de la communication va alors véritablement commencer et celle du télétravail démarrer. En France, c’est l’acte 3 débute en 1993 avec le rapport de Thierry Breton sur « Le télétravail en France. Situation actuelle, perspectives de développement et aspects juridiques » afin de recomposer l’aménagement du territoire.  Le cadre juridique de la mise en œuvre du télétravail est constitué de l’accord national interprofessionnel de 2005 relatif au télétravail et des articles L1222-9 et suivants du code du travail. La première décennie du 21ème siècle est marqué par l’accélération fulgurante des matériels et logiciels informatiques associés à un internet dit 2.0 interactif et mobile, et en conséquence le développement des GAFA, de l’ubérisation et d’un « capitalisme de plateformes » et qualifie l’acte 4. L’ordonnance du 27 septembre 2017 « relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail » vise à favoriser le télétravail en modifiant ses conditions de mise en œuvre. La crise sanitaire en imposant le travail à distance sert de révélateurs des potentialités du télétravail lors d’une pandémie et signe donc l’acte 5.

Si nous voulons proposer un dénouement à cette pièce de théâtre « Le télétravail », et dans une approche prospective, ne faudrait-il pas envisager que cette forme particulière du travail devienne la norme de référence ? 

Certaines entreprises sont en train de basculer. Aux États-Unis, Google et Facebook ont proposé à leurs salariés de télétravailler jusqu’en 2021. Quant à Twitter, il va encore plus loin car il envisage pour certains salariés, le télétravail à vie. En France, PSA, Allianz ou la Société Générale ont déjà annoncé faire du télétravail la règle et non plus l’exception.

Les enseignements que ces entreprises tirent du travail généralisé pendant la crise sanitaire, leur permettent de concevoir une accélération de la transformation de leur mode de fonctionnement pour aller vers une nouvelle ère de l’agilité.

Comme nous y invite Michel Lallement, sociologue du travail, le télétravail ne sera-t-il pas l’épicentre d’une métamorphose du travail ? 

Quelle nouvelle organisation du travail et du management – dimension individuelle et collective – ?

Alors que le télétravail se situait aux marges de lentreprise, il devient central et il rebat les cartes au-delà de la sphère du travail.

Le défi à relever pour les prochaines années sera de mettre en œuvre le mode de travail hybride dans un contexte hors pandémie tout en se souvenant de l’expérience vécue pendant la crise sanitaire. 

Le déploiement de cette norme en situation normale constitue un véritable challenge humain et logistique induisant de repenser au global lorganisation du travail. Les organisations à venir pourraient être repensées autour dactivités télétravaillables et non télétravaillables qui seraient redistribuées en fonction de la présence sur site ou à domicile des travailleurs. Cela bouscule les modes d’organisation actuelles qui restent encore dans certains secteurs très calqués sur le mode tayloriste de division des tâches mais également tel que le télétravail est actuellement pensé autour de postes télétravaillables.

Le travail hybride comme norme future du travail semble cependant se profiler de plus en plus car il permet de répondre aux aspirations individuelles et collectives des salariés en termes de responsabilité, d’épanouissement, de flexibilité mais également en termes de meilleur équilibre entre vie personnelle et professionnelle tout en alliant une dimension de développement durable. Un retour en arrière apparait aujourd’hui de plus en plus improbable. De nouvelles habitudes ont été prises depuis plus d’un an.

Travailler en mode hydrique va nécessairement conduire les salariés à se réinterroger sur le sens donner à la valeur travail, le pourquoi je viens au bureau, ce que je viens y faire.  De nouveaux modes sont à inventer ou à développer comme le mode agile, de co-construction, voire de démarches apprenantes. Apprendre à oser et à développer des capacités dapprentissage sur les démarches organisationnelles.

Les manageurs vont également devoir repenser leurs pratiques. Ils vont être amenés à composer entre la gestion du collectif, la gestion à distance, la responsabilisation des collaborateurs et le développement de la culture du feedback. 

Le travail en mode hybride pose ainsi de nombreuses questions aux entreprises, aux salariés et à leurs manageurs.

Comment se sentir en sécurité dans un univers en reconstruction ou flexible ? Comment penser différemment la performance au travail ? Comment devenir partie prenante de cette nouvelle forme dorganisation ? Comment garantir la confiance ? Comment permettre à chaque salarié (télétravailleur et non télétravailleur) de trouver sa place si demain laccès au télétravail devient un marqueur. Comment manager demain en distanciel comme en présentiel et réussir à conserver la proximité du lien social dans l’éloignement ?

Autant de questions qui bousculent le sens du travail, le rapport aux outils digitaux et collaboratifs, les qualités personnelles, le rapport au temps, à l’espace, les relations interpersonnelles, intra-entreprises.

Repenser l’approche du temps de travail 

Face au morcellement des situations de travail initié par la généralisation du télétravail à une large partie de la population active, il est nécessaire de repenser l’approche des temps de travail.

En régime de télétravail, l’organisation du temps de travail s’individualise plus encore qu’elle ne l’avait fait lors du passage en horaires flexibles ou en forfait jours pour les cadres. 

Au-delà, c’est même la nature du temps de travail qui se dilate, ou se délite. Parle-t-on du temps productif, devant l’ordinateur ? Ou du temps disponible, de connexion ? S’agit-il encore d’un temps spécifique, séparé ?

D’un côté, le télétravail permet toutes les souplesses dans l’organisation conjointe de la vie privée et de la vie professionnelle. De l’autre, il en brouille et embrouille les frontières, quand ce n’est pas leurs repères même qu’il sape.

Pour le salarié, à titre individuel, mais aussi familial, la gestion et la programmation de ses temps de travail, de repos, et de vie privée, lui incombe désormais, au prix d’une charge mentale qu’il convient de ne pas négliger. Plus que vers un droit à la déconnexion, c’est désormais vers une maîtrise dans la gestion des temps de connexion / déconnexion, que doivent s’orienter la pratique, autant que la réflexion.

Pour l’entreprise, la coexistence de salariés en télétravail et d’autres en présentiel, interpelle la tenue des plannings, des astreintes, des régimes de temps de travail dissociés au sein des équipes …  Mais elle ira bien au-delà dans la remise en cause des temps de travail. L’entreprise sera appelée à reconsidérer la nature même des tâches, par nature composites, qu’elle confie à ses salariés. Ces différentes tâches, en effet, ne renvoient pas aux mêmes natures de temps de travail.

Ainsi, le télétravail apparaît particulièrement adapté aux opérations de production individuelle, à productivité directe, aisément mesurable. Il leur apporte un supplément de concentration, un effet de focalisation, bénéfique à leur exécution. 

A contrario, les tâches collectives, et plus encore les fonctions créatives, supposent des temps ouverts, relâchés, susceptibles de dilatation, de distorsion. On n’invente pas à heure fixe, on ne convainc pas en cinq minutes chrono…

Les entreprises devront faire cette analyse, et y apporter une réponse sous forme d’organisation, au sein du temps de travail, et non plus au fil de l’eau, de phases de temps construites comme des enclaves. Un séminaire par mois, une réunion par semaine, protégés de la productivité et du morcellement journalier ? Ce mode d’organisation et d’animation des dimensions collectives ou créatives du travail, devra être sérieusement considéré.

Malheureusement, on ne peut éluder l’hypothèse selon laquelle certaines entreprises en profiteront, au contraire, pour amplifier la marchandisation du travail, sa dissection en tâches autonomisables, achetables séparément, à la demande. Pour elles, le télétravailleur sera le précurseur de l’indépendant, payé à la tâche, plutôt que du travailleur autonome.    

D’un côté, on entrevoit donc l’émergence d’un temps de travail remodelé. Ce remodelage se faisant au profit mutuel des deux parties, salarié et entreprise. Du point de vue du salarié, dans l’alternance vie privée – vie professionnelle, en recherche d’un meilleur équilibre énergétique, et d’une plus grande souplesse. Du point de vue de l’entreprise, dans la séparation des temps productifs, collectifs et créatifs, de manière à en optimiser la productivité et la création de valeur. Ce paradigme, manifestement, amplifierait les courants porteurs de l’autonomie du salarié, dans une économie de compétences collaboratives, créant de la valeur par la richesse des interactions qu’elle saurait gérer et mettre en œuvre.

De l’autre côté, on envisage une entreprise acheteuse et assembleuse de tâches, centrée sur l’extraction de la valeur (plus que sur sa création). A celles des entreprises qui sauraient le mieux découper et morceler leurs tâches productives, et les gérer à distance, reviendrait l’avantage comparatif de pouvoir chercher constamment le meilleur rapport qualité-prix, et ce sur l’ensemble de la surface du globe dans l’idéal. Le paradigme des chaînes de production, connu dans l’industrie manufacturière, s’étendrait ainsi à l’ensemble des services intellectuels, à la faveur d’un télétravail généralisé et apprivoisé. On sait que cette perspective est récessive, pour la majorité du monde du travail.    

Impact de la généralisation du télétravail sur l’organisation des temps sociaux et des espaces sociaux

A l’évidence, la mise au travail « hybride » de l’ensemble de la population active, salariée et non-salariés (notamment le développement des téléconsultations médicales, de télé-activités culturelles ou autres …) va fortement retentir sur l’organisation des temps sociaux de toute nature, qu’ils soient professionnels, familiaux, de développement personnel ou de vie sociale. On sait notamment que les rapports de genre ont été fortement impactés lors des périodes de confinements et couvre-feux, la perméabilité et la porosité entre les activités professionnelles et domestiques n’ayant pas été de même nature pour les femmes ou pour les hommes. En « régime permanent » de télétravail, cette question retrouvera nécessairement une importance durable, voire cruciale, tant pour la vie privée que pour la vie professionnelle. De même, voit-on par exemple d’ores et déjà se développer des pratiques de « vacances nouvelle manière » et d’offres de « séjours hybrides » entre travail et loisirs. Ou des réflexions et initiatives innovantes de la part d’associations de toute nature visant à la meilleure utilisation possible du numérique pour élargir l’accès de leurs membres ou de leurs usagers à leurs activités.

Plus clairement encore, le télétravail « hybride » généralisé en décorrélant lieu de vie et lieu de travail pour une partie toujours grandissante de la population pourrait changer la forme même des villes et plus généralement l’organisation des espaces sociaux. Le télétravail pouvant s’exercer à domicile comme dans des espaces dédiés à lui, les tiers lieux rencontrent par exemple un grand succès qui traduit des évolutions nettes dans les attentes des salariés et annonce des transformations importantes de la résidence et de la mobilité autant que de l’organisation du travail. Le fait de télétravailler à domicile peut favoriser l’éloignement du lieu de résidence du lieu de travail. Pouvoir concilier vie professionnelle dans une grande métropole et vivre à la campagne est ainsi possible. En sens inverse, pour les entreprises, le télétravail permet d’élargir leur périmètre de recrutement en allant « chercher » dans d’autres bassins d’emplois ou d’autres contrées et ainsi trouver de nouvelles compétences, géographiquement éloignées. Pour cette double raison, on pourrait donc voir de nouveaux travailleurs nomades « hybrides » apparaître assez massivement au moins dans les activités de service. Tout un champ de réflexion est ainsi à initier.

La distribution spatiale des activités interroge également le devenir des territoires. Le déport d’une partie des temps de travail vers le domicile bouscule le logement (taille et disposition des résidences principales, localisation et aménagement des résidences secondaires et autres lieux de vacances), autant que l’immobilier de bureau (réduction des surfaces, développement – comme indiqué – des tiers lieux de travail). Pour les territoires, se pose ainsi plus que jamais l’enjeu d’une attractivité globale, réconciliant le développement économique et la qualité de vie, et jouant désormais conjointement sur l’offre locale d’emplois autant que sur le télétravail des résidents (primaires ou secondaires). La relocalisation partielle du commerce et des lieux de culture peut contribuer à ce mouvement de réappréciation du peuplement des territoires. A contrario, certains secteurs ont à perdre au développement du télétravail : les transports collectifs, le travel retail, et la restauration collective, notamment, voient leur modèle économique battu en brèche, d’autant plus qu’ils mobilisent des coûts fixes incompressibles. D’autres y enregistreront des gains non négligeables : vente à distance et livraison à domicile, petit commerce local. Car le télétravail tend aussi paradoxalement à « sédentariser » les actifs – seraient-ils plus « nomades » pour le travail – autour d’activités quotidiennes de plus en plus connectées et à domicile : e-commerce, e-loisirs.

Plus généralement, le télétravail réinterroge les politiques d’aménagement du territoire, l’urbanisme et les transports. Outre la tendance au rétrécissement des espaces de bureaux qui s’accélère de manière générale dans toutes les grandes villes, le déclin et la restructuration des quartiers d’affaires – tout particulièrement ceux dont le déficit de mixité était déjà reconnu depuis longtemps – sont à l’ordre du jour des agences d’urbanisme et de leur Fédération nationale.  Est-ce à dire que seules les villes moyennes et les zones rurales ou périurbaines seraient gagnantes ? Sans doute pas. Car si la tentation de quitter ces grandes villes s’exprime bien de plus en plus, ces départs concernent surtout les cadres qui ont la possibilité de télétravailler, ainsi que les familles en quête de surfaces supplémentaires – y compris pour télétravailler de manière plus commode – et pour qui vivre en métropole est devenu trop onéreux. Plutôt qu’un exode massif vers des espaces moins denses, ce sera vraisemblablement une articulation nouvelle entre métropoles et centralités moyennes qui constituera l’armature de ces nouveaux modes de travail et de vie. De même, il va falloir adapter les infrastructures de transport, très souvent calibrées pour les heures de pointe, ainsi que les services de transport pour viser à la « ville du quart d’heure » dans laquelle on trouverait à proximité tous les services essentiels, y compris par des modes actifs de mobilité.

Ainsi, pour l’articulation des temps sociaux comme pour l’organisation des espaces sociaux, l’une et l’autre étant d’ailleurs reliées, le télétravail est à l’évidence une nouvelle donne à intégrer.

Contributions et analyses par : Christine Afriat – Henri Jacot – Hélène Morinière – Alain Petitjean

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Christine AFRIAT, docteur en sciences économiques, est spécialiste de la prospective, de l’évolution des métiers et des compétences et auteur de plusieurs ouvrages sur ces thèmes. Après avoir été responsable de la prospective sociale et territoriale au Centre d’études et de prospective dirigé par Thierry Gaudin du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, elle a rejoint le Commissariat général du Plan pour animer le groupe interministériel « Prospective des métiers et des qualifications ». Elle a été chef de la mission « Analyse des relations sociales » à la Direction générale des ressources humaines du ministère de l’Éducation nationale et du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Elle est membre du réseau Emploi Compétences piloté par France Stratégie. Elle est experte pour la France dans le réseau européen des administrations publiques (EUPAN) des 27 Etats membres de l’Union européenne. Elle est vice-présidente de la Société Française de Prospective (SFdP) et anime sa commission « Prospective des organisations ». Elle a coordonné l’ouvrage « La Grande Transition de l’Humanité », paru en novembre 2018 aux éditions FYP et l’ouvrage « Métamorphose du Travail » publié chez Economica, mars 2020.

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Henri JACOT, économiste, Professeur honoraire des Universités, est l’auteur de nombreuses publications, recherches et directions de recherche en économie du travail, de l’industrie et de l’innovation. Il a été élu à la Ville de Lyon (1995-2008) et au Conseil régional Rhône-Alpes (2004-2010). Il est vice-président du Conseil de développement de la Métropole de Lyon et président du Comité d’Évaluation du CNFPT. Il est membre de la SFdP et de la SFE (Société Française de l’Évaluation).

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Hélène MORINIERE, chef de projet en Ressources Humaines. Elle intervient à l’Université d’Angers en Intelligence Economique Territoriale et en Management de projet. Elle est titulaire de plusieurs MASTERS en innovation technologique (ISTIA-Angers), en prospective et stratégie des organisations (CNAM Paris) et en Ressources Humaines (IAE Caen). Elle a débuté sa carrière professionnelle en 1996 sur le projet « Parthenay Ville Numérisée ». Elle a ensuite collaboré à l’exercice de prospective territoriale Limousin 2017 avec Fabienne GOUX-BAUDIMENT, fondatrice de la Société Française de Prospective. Aujourd’hui, elle s’est recentrée sur les questions d’organisation, de ressources humaines et de nouvelles modalités de travail tout en conservant une approche territoriale à sa pratique professionnelle. Elle est membre de la Société Française de Prospective depuis son lancement.

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Alain Petitjean, diplômé d’HEC, dirige le Centre d’études et de prospective du Groupe ALPHA. Il a précédemment dirigé Les Échos Études (études sectorielles), SODIE (reclassement de personnels et revitalisation de territoires) et SEMAPHORES (conseil aux acteurs publics). Il est spécialiste d’économie industrielle et d’analyse financière et stratégique. Il a dirigé différents travaux de prospectives sectorielles (banque, luxe, métallurgie, aéronautique) ou territoriales (Régions Grand Est, Languedoc-Roussillon, Pays d’Arles, Mulhouse…). Sa dernière publication est une étude sur le Coût du capital de 2008 à 2017.

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