Réinventer un futur commun à l’échelle des territoires

Jean-Christophe Lipovac

Face aux désordres globaux environnementaux, économiques et sociaux, les territoires, en particulier les territoires urbains, qui subissent directement les effets négatifs et parfois cumulés du modèle productiviste hérité du xxe siècle, sont exhortés à trouver des réponses alternatives. De nombreux territoires font ainsi montre d’un volontarisme politique affirmé pour inventer un nouveau paradigme de développement, notamment au travers d’un projet de Transition.

Changer de paradigme ne se décrète pas. Et l’engagement en faveur d’une transition globale, écologique, sociale et économique, à l’échelle d’un territoire n’est possible, de notre point de vue, que lorsque la prise de conscience des limites du modèle économique dominant et le constat de sa non-pérennité sont réellement partagés. C’est, en l’occurrence, la situation vers laquelle tend la ville de Grande-Synthe, où les indicateurs économiques et sociaux, de santé sociale et de développement humain, sont au rouge, et ce, depuis des années. Dès lors, le projet de transition de Grande-Synthe se traduit par la volonté de changer ensemble de trajectoire de développement. Cette bifurcation se construit pas à pas, appelant aussi des formes de rupture. Le défi est de construire une vision partagée et désirée d’un futur commun et d’un vivre-ensemble, et, surtout, de le mettre en acte, ici et maintenant. Voici toute l’ambition de la démarche de ville en transition impulsée par le maire et les élus locaux, en référence au mouvement Transition Town initié par Rob Hopkins. En ce sens, la démarche de transition engagée à Grande-Synthe constitue un projet global et cohérent de développement qui repose à la fois sur un volontarisme politique fort et une dynamique collective cherchant à impliquer l’ensemble des acteurs du territoire. Nous présenterons, dans une première partie, le contexte de la ville de Grande-Synthe, son histoire et l’origine de son engagement en faveur d’un développement durable. Puis, dans une deuxième partie, nous développerons les caractéristiques et marqueurs du projet politique de transition mise en œuvre à Grande-Synthe. Nous présenterons également une démarche originale de prospective participative visant à renforcer l’appropriation collective et l’engagement de tous en faveur d’une transition économique, écologique et sociale du territoire.

 

2— Grande-Synthe : engagement d’une ville vers un développement plus durable

 

  • Une ville industrielle, archétype d’une ville non durable

Située dans le département du Nord, seconde ville de la communauté urbaine de Dunkerque avec plus de 23 600 habitants, Grande-Synthe était, dans les années 50, un petit village de maraîchers et de pêcheurs. Dans les années 1960, ce village se transforma en une ville industrielle à la croissance démographique impressionnante sous l’effet du développement industrialo-portuaire de Dunkerque.

En 1956, l’État décidait en effet, la reconstruction et l’extension du port de Dunkerque avec l’implantation d’Usinor, actuellement Arcelor-Mittal, une usine sidérurgique sur l’eau sur le territoire communal de Grande-Synthe. Près d’un tiers de la superficie de la commune fut dédié à l’usine sidérurgique. La construction de l’usine s’échelonna de 1959 à 1962. Ainsi, pendant les années 60, la population est passée de 1 500 à plus de 12 000 habitants. Dans les années 80, la population augmenta même jusqu’à 25 000 habitants pour ensuite décroître.

Sortie de terre dans les années 60, une majeure partie des quartiers nord de la ville ont été le fruit d’un urbanisme en chemin de grue. Il a fallu construire, et vite. Et les premiers immeubles construits à la hâte vingt ans plus tôt ont été finalement démolis dès 1982. Grâce aux programmes de « développement social des quartiers » (DSQ) cofinancés par l’État et la région, la ville dédensifia les quartiers nord en détruisant plusieurs barres et tours HLM. La municipalité décida alors de les remplacer par des espaces verts.

Depuis cette époque, plusieurs quartiers, précisément 3 sur les 5 qui composent la ville, ont fait l’objet d’ambitieux programmes de rénovation grâce notamment aux programmes nationaux de renouvellement urbain, en particulier l’ANRU.

Sur les quinze dernières années, la ville a parachevé sa transformation urbaine. Dans les années 1960-1970, la ville était façonnée par l’automobile : grandes pénétrantes, larges avenues traversant la ville au nord et au sud. Aussi, lors de la rénovation, l’urbanisme a été totalement repensé : création d’un centre-ville, liaisons entre les quartiers, schéma de pistes cyclables, cheminements piétonniers, mixité fonctionnelle à l’échelle des quartiers, équipements publics de proximité… Les logements énergivores d’hier font place aujourd’hui à des logements BBC, HPE et THPE.

Suite au premier choc pétrolier de 1973, le développement de Grande-Synthe, et plus largement du Dunkerquois, a été, une première fois, fortement ralenti. Alors qu’Usinor employa jusqu’à 13 500 personnes, Arcelor-Mittal emploie actuellement à peine 3 500 salariés. Exacerbée par la désindustrialisation du territoire, et, dernièrement, par la crise économique de 2008, la situation économique et sociale à l’échelle de la ville s’est fortement dégradée. Actuellement, la ville compte un taux de 24 % de chômage, avec un pourcentage de près de 40 % chez les moins de 25 ans, et 31 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.

La fabrication de la ville a été calquée sur la logique industrielle. Elle en porte encore les stigmates. Changer de modèle de développement est ici un impératif ! Se déclarer en transition, revient ainsi à s’engager sur un autre chemin en termes de développement économique, d’habitabilité du territoire et de vivre ensemble.

 

  • La ville grandeur nature

Dès les années 70, l’équipe municipale prend pleinement conscience de l’impact d’un tel développement sur l’environnement et le cadre de vie. L’amélioration de ce dernier et, plus largement, de la qualité de vie devient un objectif politique local. Cet objectif émerge, d’ailleurs, parallèlement à la prise de conscience environnementale qui a lieu à la même époque un peu partout en Europe et dans le monde (1972 : premier Rapport Meadows, Conférence de Stockholm sur l’environnement). Localement, il s’agit là d’une bifurcation importante dans la trajectoire de développement de la ville. La municipalité a ainsi planté un bois avec les habitants, dès 1974, à l’ouest de la commune, autour d’un lac artificiel, creusé pour répondre à un besoin de remblais pour la construction de la future autoroute A16. L’idée était de constituer le poumon vert de la ville. Il s’étend actuellement sur près de 130 hectares. Aujourd’hui, ce poumon vert fait partie avec d’autres espaces naturels de la ville d’une réserve naturelle régionale d’une superficie de 173 hectares. Elle constitue d’ailleurs l’une des plus importantes surfaces boisées d’un seul tenant à l’échelle du département du Nord.

De même, la ville a également très tôt fait le choix de réaliser une ceinture boisée autour de la commune dans la perspective de réaliser un écran végétal pour séparer physiquement la ville et ses logements de l’usine. Au fil des années, cette ceinture s’est développée formant un véritable corridor écologique de plus de 3 kilomètres de long, sur une superficie totale de près de 18 hectares. Ce corridor ceinture littéralement la ville. En effet, dans les années 2000, la municipalité a décidé de planter, de manière massive, des arbres fruitiers en ville, au niveau de la ceinture boisée donc, mais également dans les espaces verts de la ville où sont ainsi apparus des vergers. Aujourd’hui, à l’échelle de la ville, on ne dénombre pas moins de 400 hectares d’espaces verts ou naturels gérés de manière écologique, des espaces naturels et semi-naturels ayant un plan de gestion ad hoc. La gestion différenciée des espaces verts a été expérimentée dès le milieu des années 90, puis généralisée à l’échelle de la ville dès 2005. En parallèle, la ville a progressivement diminué l’usage des produits phytosanitaires pour les bannir totalement depuis 2011.

Tous ces efforts pour transformer la ville minérale des années 60 en une ville verte et, désormais, une ville nature favorable au maintien et au développement de la biodiversité ont été récompensés ces dernières années par de multiples distinctions. Ainsi, Grande-Synthe a reçu 4 fleurs au concours des Villes fleuries depuis 1990, le Grand prix national de l’arbre en 1992 et en 2005, le Grand prix du fleurissement en 2003 et 2009. La consécration fut, en 2010, l’obtention du prix de la première Capitale française de la biodiversité. Comme le rappelle souvent Damien Carême, Maire de Grande-Synthe depuis 2001 : « la nature constitue le patrimoine commun des Grand-Synthois ». Les résultats de ce changement de trajectoire de la ville, engagée dès les années 70, sont assez remarquables. Voici quelques chiffres :

— 127 m² d’espaces verts ou naturels par habitant ;

— 95 % de la population vivent à moins de 300 mètres d’un espace vert ou naturel ;

— Un patrimoine écologique d’espèces animales et végétales reconnu scientifiquement ;

— 400 hectares d’espaces verts ou naturels et une réserve naturelle régionale boisée de près de 173 hectares ;

— La généralisation d’une gestion écologique et du zéro phytosanitaire.

 

Cette politique de nature en ville constitue le socle de la politique de transition de Grande-Synthe vers un développement durable. Elle concourt au changement d’image de la ville et à son attractivité. Grande-Synthe gagne, en effet, certes modestement, de nouveaux habitants contrairement au reste du territoire de la Communauté urbaine de Dunkerque.

Elle participe de surcroît à un réel sentiment de fierté de la population. Depuis les années 70, les habitants ont été constamment associés, et sous différentes formes, à cette politique : de la plantation du bois autour du lac artificiel du Puythouck, avec les enfants et les parents, aux ateliers de travaux urbains avec les habitants dans les quartiers. De nombreuses initiatives associatives ont émergé. Citons notamment l’association aux résidences fleuries et, plus récemment, l’association l’Ecochalet, l’Abeille synthoise qui produit du miel made in Grande-Synthe.

 

  1. Grande-Synthe : vers une transition écologique et solidaire

 

  • L’exemplarité : la seule manière de convaincre

En vue de renforcer et d’amplifier sa démarche vers un développement plus durable, la Ville de Grande-Synthe s’est engagée, en 2011, par délibération du conseil municipal, dans une démarche de ville en transition en référence au mouvement international Transition Town initié par Rob Hopkins. La collectivité aspire ainsi à renforcer la résilience de son territoire en réduisant sa dépendance aux énergies fossiles et en s’adaptant aux effets du changement climatique.

 

Cet engagement constitue également une nouvelle étape, en réponse à la signature officielle par la municipalité de la Convention des maires et l’adoption en 2009 d’un plan d’actions pour l’énergie durable ambitieux d’ici 2020.

Comme de nombreuses collectivités locales à travers l’Europe, Grande-Synthe s’est engagée, de manière volontariste, à réduire de 20 % ses émissions de gaz à effet de serre, à atteindre 20 % d’économie d’énergie, et 20 % d’énergies renouvelables dans la consommation totale d’énergie de la commune, le tout d’ici 2020. La ville a d’ores et déjà atteint près de 40 % de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre au niveau du parc automobile et de 34 % au niveau de l’éclairage public municipal. Par ailleurs, la part des énergies renouvelables au niveau de la consommation d’énergie de la commune atteint d’ores et déjà près de 75 %. Les réductions de consommation d’énergie sont systématiquement recherchées que ce soit au niveau de l’éclairage public, au travers d’actions ciblées de rénovation thermique du patrimoine communal, ou encore grâce aux objectifs de performance énergétique assignés aux nouveaux équipements publics. Sur la trajectoire du facteur 4, les signataires de la Convention des maires s’engagent, désormais, sur des objectifs forts à horizon 2030, comme la réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre, et ce, en vue d’accélérer la décarbonisation de leurs territoires et de renforcer leurs capacités à s’adapter aux effets inévitables du changement climatique.

Dans cette perspective, le projet de ville en transition, initié dès 2011 à l’échelle de Grande-Synthe, cherche à activer la capacité des habitants et des acteurs du territoire d’agir et de s’adapter. Construire la résilience du territoire, au regard des enjeux énergétique et climatique, appelle à inventer des modes de vie prenant en charge les enjeux environnementaux globaux, mais également des objectifs de justice sociale et d’épanouissement individuel afin que chacun puisse vivre dignement. Intégrer les enjeux sociaux et écologiques est d’autant plus une exigence forte dans des contextes territoriaux, à l’instar de Grande-Synthe, où les indicateurs sociaux et économiques sont au rouge.

 

  • Partir des besoins pour construire des réponses globales et accompagner l’évolution des modes de vie

Pour conduire une transition vers un nouveau modèle de développement plus durable, il faut d’abord partir des besoins des habitants et des acteurs locaux : l’accès à une alimentation saine, à la mobilité (en particulier lorsque 25 % des foyers n’ont pas de véhicule), à l’habitat, à la santé et à un environnement de qualité pour tous. Cela constitue autant de clés d’entrées prioritaires pour concrétiser la dynamique de transition à l’échelle de Grande-Synthe.

L’expérimentation et l’innovation technique/technologique, sociale, économique, la recherche d’alternatives constitue des principes d’intervention publique assumés par le volontarisme politique local.

Les projets ANRU menés sur la ville ont ainsi été des accélérateurs de la transition. Et la recherche d’une cohérence de l’ensemble des actions publiques locales a permis de tendre vers une politique municipale globale de Transition qui prend appui sur une dynamique collective bottom-up.

On compte actuellement près de 63 % de logements sociaux sur la ville. L’accès pour tous à un logement de qualité est une priorité de la politique de transition. Ainsi, les logements reconstruits à partir de 2008-2009 dans le cadre de l’ANRU sont tous aux normes BBC, anticipant ainsi la réglementation thermique de 2012. Un premier logement collectif passif a même été dernièrement réalisé dans le cadre de la rénovation urbaine. Des équipements municipaux à énergie positive ont également été construits dans la logique de monter l’exemple et de donner un signal fort aux habitants et aux partenaires de la ville. De manière systématique dans les projets ANRU, la requalification des espaces publics et de la voirie et, le développement de nouveaux usages ont été recherchés. Ce mode d’intervention a également eu des effets d’entraînement sur le reste de la ville.

Ainsi, la place de l’automobile sur l’espace public a été fortement réduite à la faveur de celles des piétons et des cyclistes. À l’échelle de la ville, un schéma d’aménagement cyclable a été coconstruit avec les habitants et les associations locales. Dorénavant, 43 km de pistes cyclables maillent les 5 quartiers de la ville. Pour inciter les habitants à utiliser le vélo, la municipalité a installé 350 attache-vélos en ville, et équipé six écoles de garages à vélo, à la suite d’une concertation avec les équipes éducatives, les parents d’élèves et les enfants. Une subvention pour l’achat de vélos classiques a été accordée et 600 aides ont été délivrées en 2017. Des cours d’apprentissage du vélo pour adulte sont proposés aux habitants par la maison de santé de la ville. En ville, des panneaux indicateurs sur les temps de parcours à pied et à vélo, réalisés avec les associations locales, incitent aux modes de déplacements actifs.

Dans la logique d’une requalification des espaces publics et la promotion de nouveaux usages, les grandes pelouses en pied d’immeubles sont devenues des jardins populaires. Sur ces espaces publics (donc zéro phyto) mis à la disposition des habitants, le jardinage écologique est la condition sine qua non. Cet apprentissage auprès des jardiniers amateurs est assuré par les services de la ville. Le premier jardin a été inauguré en 2012. En 2017, un sixième jardin fut lancé. Des initiatives d’habitants suivent et amplifient ce phénomène, à l’instar du projet associatif « La forêt qui se mange » qui développe un espace nourricier en permaculture sur un terrain de 5 400 m² mis à disposition par la ville. Ce projet est porté par les habitants, pour les habitants. De l’écopâturage au maraîchage biologique animé par une entreprise d’insertion (près de 500 parcelles de jardins ouvriers, d’environ chacune 200 m²), en passant par les jardins écologiques de proximité et les arbres fruitiers en ville, Grande-Synthe s’invente ville nourricière.

Changer les comportements et les habitudes ne se décrète pas ! Tout l’art de cette politique de Transition est d’articuler, ou du moins de mettre en cohérence, les choix individuels et les choix collectifs, et ce, dans les différents domaines de la vie quotidienne (habitat, mobilité, santé, alimentation, etc.).

 

3— Anticiper plutôt que subir : rendre chacun acteur du changement

 

  • La pédagogie: levier essentiel d’une transition

L’implication active des habitants et des acteurs de la ville, comme acteurs du changement, constitue un fil rouge transversal de la démarche locale de transition. Les finalités sont ici la recherche de l’autonomie des habitants et le renforcement de leur pouvoir d’agir, en particulier pour les personnes les plus démunies ou en difficulté.

L’éducation populaire est l’outil de la politique locale de transition. La transition se veut une expérience positive personnelle et/ou collective. Les maisons de quartiers (structures de proximité présentes dans chaque quartier et fonctionnant comme un centre social), l’université populaire de Grande-Synthe, le service municipal sont les opérateurs de l’accompagnement des habitants pour un passage à l’action. Les jardins en pied d’immeubles évoqués précédemment sont concrètement les résultats de l’intervention d’agents municipaux de l’université populaire. Ce sont également d’autres services coconstruits avec les habitants qui se développement dans le cadre des activités de l’université populaire : les écrivains publics, la grainothèque, la banque de semences potagères, la formation des maîtres composteurs, les ateliers du faire soi-même (produits écologiques, peinture au naturel), les repairs-cafés en lien avec Troc et Co, le système d’échanges de biens et services et la monnaie citoyenne locale.

Bon nombre d’habitants s’engagent dans ces projets alternatifs pour des raisons économiques et financières, d’autres par une conscience environnementale. In fine, ces projets produisent des liens de solidarité forts entre les habitants, une plus grande cohésion sociale, un apprentissage de savoir-faire, et, indéniablement, un éveil des consciences sur les enjeux environnementaux. Ce sont tout autant de ressorts pour construire la résilience du territoire, et des résultats non négligeables pour une partie de la population engluée dans des situations d’urgence sociale de très court terme.

 

  • Se projeter ensemble dans un futur durable et désiré

Une démarche de transition appelle chacun à se projeter, à construire une vision positive de l’avenir. Cela interpelle donc directement notre vision du monde de demain, nos façons de vivre ensemble, de gérer les biens communs… Mais comment inventer un imaginaire collectif autour d’un futur souhaitable, durable et désirable ? Comment intéresser le plus grand nombre d’acteurs du territoire jeunes, moins jeunes, actifs et non actifs, acteurs économiques, acteurs associatifs… ? Et comment les rendre acteurs du changement et accélérer les formes d’innovations locales ?

Pour construire des éléments de réponse à ces questionnements, la ville a confié à un groupement d’experts l’animation d’une démarche de prospective participative qui s’est tenue courant de l’année 2016. La mise en récit de la transition appliquée à Grande-Synthe fut un des outils clés de la méthodologie d’intervention de l’équipe de prospectivistes composée d’un sociologue, d’un anthropologue et d’un économiste. Trois raisons ont guidé ce choix méthodologique. Un récit qui peut se raconter fait sens. Il permet en outre d’ordonner la complexité, et enfin favorise les échanges et la coproduction.

Pour écrire un récit accessible à tous, l’option retenue a été de construire une trame narrative qui prend racine dans l’histoire de la commune et dans l’imaginaire des Grand-Synthois. L’approche des super-héros qui fut privilégiée visait à attirer l’attention et à interpeller la population et les acteurs locaux autour des grands enjeux de la Transition écologique, sociale et économique du territoire. Trois supers-héros, Usinor, Végétalor et Connector, ont ainsi permis d’engager des débats plus spécifiquement autour de trois grandes problématiques : le travail et l’emploi ; le bien-être et la dignité humaine ; les capacités d’action et de transformation de chacun. Ces supers-héros ont également servi de média pour susciter et encourager les Grand-Synthois à être pleinement les héros ordinaires de leur propre histoire et à construire le grand récit de la Transition de Grande-Synthe. Ainsi, des débats mobiles au plus près des habitants et usagers de la ville lors de la fête du 1er mai, de marchés de plein air toujours très fréquentés ou encore de braderies, ont constitué des espaces d’échanges et de sensibilisation ouverts auprès d’un très large public. Ces débats ont été à la fois des points publics d’informations dans la rue sur les enjeux de transition, des points d’écoute et de captation de parole écrite et orale, des idées et des imaginaires des habitants. En chiffres, ce sont plus de 1500 personnes impactées, 150 avis récoltés. En parallèle, des ateliers participatifs avec un public mixte — agents de la ville, habitants-usagers des maisons de quartier, lycéens — ont permis de sonder les imaginaires de chacun sur des pistes de solutions pour des modes de vie plus durables. Enfin, des séminaires réunissant les élus, les responsables et chefs de service de la ville de Grande-Synthe et de la communauté urbaine de Dunkerque, ainsi que des experts de l’ADEME et de l’agence d’urbanisme de Dunkerque ont permis de nourrir ce grand récit et de le mettre en perspective à travers un cadre stratégique proposé par l’un des experts.

Pour restituer tout ce travail, une exposition dénommée « La transformation de Grande-Synthe en Actions ! » illustre de façon ludique la trajectoire et les transitions de la ville, ainsi que les résultats des différents débats de terrain, et les solutions d’ores et déjà à l’œuvre dans les domaines du Bâtiment, de l’Emploi, des Transports, de l’Alimentation. L’approche B.E.T.A. constitue en soi un cadre commun d’actions où chacun est appelé à apporter sa contribution pour concrétiser la transition économique, écologique et sociale à l’échelle de Grande-Synthe.

À l’issue de la démarche de prospective participative, en novembre 2016, la ville de Grande-Synthe a organisé un premier Forum de la transition économique, écologique et sociale[1]. Ce Forum a constitué un temps fort de débat et d’interpellation sur le modèle de développement de demain à l’échelle du Dunkerquois. La restitution du travail de prospective participative y fut présentée et a contribué au débat. Plus de 250 participants d’horizons différents — décideurs politiques, décideurs économiques dont des industriels, des partenaires sociaux, et forces vives du territoire — étaient réunis pour ce premier Forum. Un second forum prévu au printemps 2018 cherchera à ancrer dans le paysage local le processus de dialogue social/sociétal territorial initié en 2016. Ce processus nous semble est un des leviers-clés pour un changement d’échelle. En d’autres termes, concrétiser la transformation du modèle de développement économique à l’échelle de l’agglomération, se préparer ensemble aux mutations en cours et défis à venir, et renforcer la résilience du territoire et de son tissu industriel et économique, tout en facilitant l’émergence de nouveaux modèles économiques d’entreprises inscrits dans une perspective de durabilité.

*

Dans sa démarche de ville en transition, la ville de Grande-Synthe a pour ambition de construire un nouveau modèle de développement plus juste socialement, tout en prenant en compte les limites écologiques de la planète. La transition est un cheminement, une évolution nécessairement graduée entre un état et un autre. La mise en récit de la transition vise ainsi à construire les étapes vers un développement plus durable. Elle vise aussi à toucher un public de plus en plus large. Un projet de transition se construit avec les habitants, les acteurs institutionnels, économiques et sociaux. Il n’y a pas de recette à appliquer ! Néanmoins, la prise de conscience de la fin d’un modèle est nécessaire. Le deuil du modèle d’hier est même indispensable pour inventer un futur durable.

L’identité du territoire constitue en soi un ressort clé pour engager les acteurs du territoire dans un processus de changement global et la construction d’un autre modèle de développement. Comme l’a mise en évidence la démarche de prospective participative, la transition est d’ores et déjà à l’œuvre à Grande-Synthe, encore faut-il identifier et caractériser ces signaux parfois faibles, la révéler au plus grand nombre et aider chacun à se l’approprier. Le rôle de la collectivité est de donner l’exemple, mais aussi d’accompagner et d’amplifier les initiatives des acteurs du territoire pour inscrire la transition dans le quotidien, dans les modes d’habiter, de travailler, de déplacement, de consommation et d’alimentation. Tous ces petits pas amènent progressivement à des formes de rupture notamment culturelle, sociale et économique : rapport aux idées reçues, rapport aux autres, au matériel et à l’immatérielle, etc. La capacité d’agir et d’innover, ainsi que la recherche d’autonomie à l’échelle individuelle comme à l’échelle du territoire sont les moteurs des dynamiques locales de transition à l’instar de ce qui est engagé à Grande-Synthe. C’est une nouvelle étape du développement durable en cours dans les territoires qui s’appuie sur des formes de démocratie plus contributive et la construction d’un nouvel imaginaire collectif pour un futur commun durable et désirable.

 

 

 

Face aux désordres globaux environnementaux, économiques et sociaux, les territoires, en particulier les territoires urbains, qui subissent directement les effets négatifs et parfois cumulés du modèle productiviste hérité du xxe siècle, sont exhortés à trouver des réponses alternatives. De nombreux territoires font ainsi montre d’un volontarisme politique affirmé pour inventer un nouveau paradigme de développement, notamment au travers d’un projet de Transition.

Changer de paradigme ne se décrète pas. Et l’engagement en faveur d’une transition globale, écologique, sociale et économique, à l’échelle d’un territoire n’est possible, de notre point de vue, que lorsque la prise de conscience des limites du modèle économique dominant et le constat de sa non-pérennité sont réellement partagés. C’est, en l’occurrence, la situation vers laquelle tend la ville de Grande-Synthe, où les indicateurs économiques et sociaux, de santé sociale et de développement humain, sont au rouge, et ce, depuis des années. Dès lors, le projet de transition de Grande-Synthe se traduit par la volonté de changer ensemble de trajectoire de développement. Cette bifurcation se construit pas à pas, appelant aussi des formes de rupture. Le défi est de construire une vision partagée et désirée d’un futur commun et d’un vivre-ensemble, et, surtout, de le mettre en acte, ici et maintenant. Voici toute l’ambition de la démarche de ville en transition impulsée par le maire et les élus locaux, en référence au mouvement Transition Town initié par Rob Hopkins. En ce sens, la démarche de transition engagée à Grande-Synthe constitue un projet global et cohérent de développement qui repose à la fois sur un volontarisme politique fort et une dynamique collective cherchant à impliquer l’ensemble des acteurs du territoire. Nous présenterons, dans une première partie, le contexte de la ville de Grande-Synthe, son histoire et l’origine de son engagement en faveur d’un développement durable. Puis, dans une deuxième partie, nous développerons les caractéristiques et marqueurs du projet politique de transition mise en œuvre à Grande-Synthe. Nous présenterons également une démarche originale de prospective participative visant à renforcer l’appropriation collective et l’engagement de tous en faveur d’une transition économique, écologique et sociale du territoire.

 

2— Grande-Synthe : engagement d’une ville vers un développement plus durable

 

  • Une ville industrielle, archétype d’une ville non durable

Située dans le département du Nord, seconde ville de la communauté urbaine de Dunkerque avec plus de 23 600 habitants, Grande-Synthe était, dans les années 50, un petit village de maraîchers et de pêcheurs. Dans les années 1960, ce village se transforma en une ville industrielle à la croissance démographique impressionnante sous l’effet du développement industrialo-portuaire de Dunkerque.

En 1956, l’État décidait en effet, la reconstruction et l’extension du port de Dunkerque avec l’implantation d’Usinor, actuellement Arcelor-Mittal, une usine sidérurgique sur l’eau sur le territoire communal de Grande-Synthe. Près d’un tiers de la superficie de la commune fut dédié à l’usine sidérurgique. La construction de l’usine s’échelonna de 1959 à 1962. Ainsi, pendant les années 60, la population est passée de 1 500 à plus de 12 000 habitants. Dans les années 80, la population augmenta même jusqu’à 25 000 habitants pour ensuite décroître.

Sortie de terre dans les années 60, une majeure partie des quartiers nord de la ville ont été le fruit d’un urbanisme en chemin de grue. Il a fallu construire, et vite. Et les premiers immeubles construits à la hâte vingt ans plus tôt ont été finalement démolis dès 1982. Grâce aux programmes de « développement social des quartiers » (DSQ) cofinancés par l’État et la région, la ville dédensifia les quartiers nord en détruisant plusieurs barres et tours HLM. La municipalité décida alors de les remplacer par des espaces verts.

Depuis cette époque, plusieurs quartiers, précisément 3 sur les 5 qui composent la ville, ont fait l’objet d’ambitieux programmes de rénovation grâce notamment aux programmes nationaux de renouvellement urbain, en particulier l’ANRU.

Sur les quinze dernières années, la ville a parachevé sa transformation urbaine. Dans les années 1960-1970, la ville était façonnée par l’automobile : grandes pénétrantes, larges avenues traversant la ville au nord et au sud. Aussi, lors de la rénovation, l’urbanisme a été totalement repensé : création d’un centre-ville, liaisons entre les quartiers, schéma de pistes cyclables, cheminements piétonniers, mixité fonctionnelle à l’échelle des quartiers, équipements publics de proximité… Les logements énergivores d’hier font place aujourd’hui à des logements BBC, HPE et THPE.

Suite au premier choc pétrolier de 1973, le développement de Grande-Synthe, et plus largement du Dunkerquois, a été, une première fois, fortement ralenti. Alors qu’Usinor employa jusqu’à 13 500 personnes, Arcelor-Mittal emploie actuellement à peine 3 500 salariés. Exacerbée par la désindustrialisation du territoire, et, dernièrement, par la crise économique de 2008, la situation économique et sociale à l’échelle de la ville s’est fortement dégradée. Actuellement, la ville compte un taux de 24 % de chômage, avec un pourcentage de près de 40 % chez les moins de 25 ans, et 31 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.

La fabrication de la ville a été calquée sur la logique industrielle. Elle en porte encore les stigmates. Changer de modèle de développement est ici un impératif ! Se déclarer en transition, revient ainsi à s’engager sur un autre chemin en termes de développement économique, d’habitabilité du territoire et de vivre ensemble.

 

  • La ville grandeur nature

Dès les années 70, l’équipe municipale prend pleinement conscience de l’impact d’un tel développement sur l’environnement et le cadre de vie. L’amélioration de ce dernier et, plus largement, de la qualité de vie devient un objectif politique local. Cet objectif émerge, d’ailleurs, parallèlement à la prise de conscience environnementale qui a lieu à la même époque un peu partout en Europe et dans le monde (1972 : premier Rapport Meadows, Conférence de Stockholm sur l’environnement). Localement, il s’agit là d’une bifurcation importante dans la trajectoire de développement de la ville. La municipalité a ainsi planté un bois avec les habitants, dès 1974, à l’ouest de la commune, autour d’un lac artificiel, creusé pour répondre à un besoin de remblais pour la construction de la future autoroute A16. L’idée était de constituer le poumon vert de la ville. Il s’étend actuellement sur près de 130 hectares. Aujourd’hui, ce poumon vert fait partie avec d’autres espaces naturels de la ville d’une réserve naturelle régionale d’une superficie de 173 hectares. Elle constitue d’ailleurs l’une des plus importantes surfaces boisées d’un seul tenant à l’échelle du département du Nord.

De même, la ville a également très tôt fait le choix de réaliser une ceinture boisée autour de la commune dans la perspective de réaliser un écran végétal pour séparer physiquement la ville et ses logements de l’usine. Au fil des années, cette ceinture s’est développée formant un véritable corridor écologique de plus de 3 kilomètres de long, sur une superficie totale de près de 18 hectares. Ce corridor ceinture littéralement la ville. En effet, dans les années 2000, la municipalité a décidé de planter, de manière massive, des arbres fruitiers en ville, au niveau de la ceinture boisée donc, mais également dans les espaces verts de la ville où sont ainsi apparus des vergers. Aujourd’hui, à l’échelle de la ville, on ne dénombre pas moins de 400 hectares d’espaces verts ou naturels gérés de manière écologique, des espaces naturels et semi-naturels ayant un plan de gestion ad hoc. La gestion différenciée des espaces verts a été expérimentée dès le milieu des années 90, puis généralisée à l’échelle de la ville dès 2005. En parallèle, la ville a progressivement diminué l’usage des produits phytosanitaires pour les bannir totalement depuis 2011.

Tous ces efforts pour transformer la ville minérale des années 60 en une ville verte et, désormais, une ville nature favorable au maintien et au développement de la biodiversité ont été récompensés ces dernières années par de multiples distinctions. Ainsi, Grande-Synthe a reçu 4 fleurs au concours des Villes fleuries depuis 1990, le Grand prix national de l’arbre en 1992 et en 2005, le Grand prix du fleurissement en 2003 et 2009. La consécration fut, en 2010, l’obtention du prix de la première Capitale française de la biodiversité. Comme le rappelle souvent Damien Carême, Maire de Grande-Synthe depuis 2001 : « la nature constitue le patrimoine commun des Grand-Synthois ». Les résultats de ce changement de trajectoire de la ville, engagée dès les années 70, sont assez remarquables. Voici quelques chiffres :

— 127 m² d’espaces verts ou naturels par habitant ;

— 95 % de la population vivent à moins de 300 mètres d’un espace vert ou naturel ;

— Un patrimoine écologique d’espèces animales et végétales reconnu scientifiquement ;

— 400 hectares d’espaces verts ou naturels et une réserve naturelle régionale boisée de près de 173 hectares ;

— La généralisation d’une gestion écologique et du zéro phytosanitaire.

 

Cette politique de nature en ville constitue le socle de la politique de transition de Grande-Synthe vers un développement durable. Elle concourt au changement d’image de la ville et à son attractivité. Grande-Synthe gagne, en effet, certes modestement, de nouveaux habitants contrairement au reste du territoire de la Communauté urbaine de Dunkerque.

Elle participe de surcroît à un réel sentiment de fierté de la population. Depuis les années 70, les habitants ont été constamment associés, et sous différentes formes, à cette politique : de la plantation du bois autour du lac artificiel du Puythouck, avec les enfants et les parents, aux ateliers de travaux urbains avec les habitants dans les quartiers. De nombreuses initiatives associatives ont émergé. Citons notamment l’association aux résidences fleuries et, plus récemment, l’association l’Ecochalet, l’Abeille synthoise qui produit du miel made in Grande-Synthe.

 

  1. Grande-Synthe : vers une transition écologique et solidaire

 

  • L’exemplarité : la seule manière de convaincre

En vue de renforcer et d’amplifier sa démarche vers un développement plus durable, la Ville de Grande-Synthe s’est engagée, en 2011, par délibération du conseil municipal, dans une démarche de ville en transition en référence au mouvement international Transition Town initié par Rob Hopkins. La collectivité aspire ainsi à renforcer la résilience de son territoire en réduisant sa dépendance aux énergies fossiles et en s’adaptant aux effets du changement climatique.

 

Cet engagement constitue également une nouvelle étape, en réponse à la signature officielle par la municipalité de la Convention des maires et l’adoption en 2009 d’un plan d’actions pour l’énergie durable ambitieux d’ici 2020.

Comme de nombreuses collectivités locales à travers l’Europe, Grande-Synthe s’est engagée, de manière volontariste, à réduire de 20 % ses émissions de gaz à effet de serre, à atteindre 20 % d’économie d’énergie, et 20 % d’énergies renouvelables dans la consommation totale d’énergie de la commune, le tout d’ici 2020. La ville a d’ores et déjà atteint près de 40 % de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre au niveau du parc automobile et de 34 % au niveau de l’éclairage public municipal. Par ailleurs, la part des énergies renouvelables au niveau de la consommation d’énergie de la commune atteint d’ores et déjà près de 75 %. Les réductions de consommation d’énergie sont systématiquement recherchées que ce soit au niveau de l’éclairage public, au travers d’actions ciblées de rénovation thermique du patrimoine communal, ou encore grâce aux objectifs de performance énergétique assignés aux nouveaux équipements publics. Sur la trajectoire du facteur 4, les signataires de la Convention des maires s’engagent, désormais, sur des objectifs forts à horizon 2030, comme la réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre, et ce, en vue d’accélérer la décarbonisation de leurs territoires et de renforcer leurs capacités à s’adapter aux effets inévitables du changement climatique.

Dans cette perspective, le projet de ville en transition, initié dès 2011 à l’échelle de Grande-Synthe, cherche à activer la capacité des habitants et des acteurs du territoire d’agir et de s’adapter. Construire la résilience du territoire, au regard des enjeux énergétique et climatique, appelle à inventer des modes de vie prenant en charge les enjeux environnementaux globaux, mais également des objectifs de justice sociale et d’épanouissement individuel afin que chacun puisse vivre dignement. Intégrer les enjeux sociaux et écologiques est d’autant plus une exigence forte dans des contextes territoriaux, à l’instar de Grande-Synthe, où les indicateurs sociaux et économiques sont au rouge.

 

  • Partir des besoins pour construire des réponses globales et accompagner l’évolution des modes de vie

Pour conduire une transition vers un nouveau modèle de développement plus durable, il faut d’abord partir des besoins des habitants et des acteurs locaux : l’accès à une alimentation saine, à la mobilité (en particulier lorsque 25 % des foyers n’ont pas de véhicule), à l’habitat, à la santé et à un environnement de qualité pour tous. Cela constitue autant de clés d’entrées prioritaires pour concrétiser la dynamique de transition à l’échelle de Grande-Synthe.

L’expérimentation et l’innovation technique/technologique, sociale, économique, la recherche d’alternatives constitue des principes d’intervention publique assumés par le volontarisme politique local.

Les projets ANRU menés sur la ville ont ainsi été des accélérateurs de la transition. Et la recherche d’une cohérence de l’ensemble des actions publiques locales a permis de tendre vers une politique municipale globale de Transition qui prend appui sur une dynamique collective bottom-up.

On compte actuellement près de 63 % de logements sociaux sur la ville. L’accès pour tous à un logement de qualité est une priorité de la politique de transition. Ainsi, les logements reconstruits à partir de 2008-2009 dans le cadre de l’ANRU sont tous aux normes BBC, anticipant ainsi la réglementation thermique de 2012. Un premier logement collectif passif a même été dernièrement réalisé dans le cadre de la rénovation urbaine. Des équipements municipaux à énergie positive ont également été construits dans la logique de monter l’exemple et de donner un signal fort aux habitants et aux partenaires de la ville. De manière systématique dans les projets ANRU, la requalification des espaces publics et de la voirie et, le développement de nouveaux usages ont été recherchés. Ce mode d’intervention a également eu des effets d’entraînement sur le reste de la ville.

Ainsi, la place de l’automobile sur l’espace public a été fortement réduite à la faveur de celles des piétons et des cyclistes. À l’échelle de la ville, un schéma d’aménagement cyclable a été coconstruit avec les habitants et les associations locales. Dorénavant, 43 km de pistes cyclables maillent les 5 quartiers de la ville. Pour inciter les habitants à utiliser le vélo, la municipalité a installé 350 attache-vélos en ville, et équipé six écoles de garages à vélo, à la suite d’une concertation avec les équipes éducatives, les parents d’élèves et les enfants. Une subvention pour l’achat de vélos classiques a été accordée et 600 aides ont été délivrées en 2017. Des cours d’apprentissage du vélo pour adulte sont proposés aux habitants par la maison de santé de la ville. En ville, des panneaux indicateurs sur les temps de parcours à pied et à vélo, réalisés avec les associations locales, incitent aux modes de déplacements actifs.

Dans la logique d’une requalification des espaces publics et la promotion de nouveaux usages, les grandes pelouses en pied d’immeubles sont devenues des jardins populaires. Sur ces espaces publics (donc zéro phyto) mis à la disposition des habitants, le jardinage écologique est la condition sine qua non. Cet apprentissage auprès des jardiniers amateurs est assuré par les services de la ville. Le premier jardin a été inauguré en 2012. En 2017, un sixième jardin fut lancé. Des initiatives d’habitants suivent et amplifient ce phénomène, à l’instar du projet associatif « La forêt qui se mange » qui développe un espace nourricier en permaculture sur un terrain de 5 400 m² mis à disposition par la ville. Ce projet est porté par les habitants, pour les habitants. De l’écopâturage au maraîchage biologique animé par une entreprise d’insertion (près de 500 parcelles de jardins ouvriers, d’environ chacune 200 m²), en passant par les jardins écologiques de proximité et les arbres fruitiers en ville, Grande-Synthe s’invente ville nourricière.

Changer les comportements et les habitudes ne se décrète pas ! Tout l’art de cette politique de Transition est d’articuler, ou du moins de mettre en cohérence, les choix individuels et les choix collectifs, et ce, dans les différents domaines de la vie quotidienne (habitat, mobilité, santé, alimentation, etc.).

 

3— Anticiper plutôt que subir : rendre chacun acteur du changement

 

  • La pédagogie: levier essentiel d’une transition

L’implication active des habitants et des acteurs de la ville, comme acteurs du changement, constitue un fil rouge transversal de la démarche locale de transition. Les finalités sont ici la recherche de l’autonomie des habitants et le renforcement de leur pouvoir d’agir, en particulier pour les personnes les plus démunies ou en difficulté.

L’éducation populaire est l’outil de la politique locale de transition. La transition se veut une expérience positive personnelle et/ou collective. Les maisons de quartiers (structures de proximité présentes dans chaque quartier et fonctionnant comme un centre social), l’université populaire de Grande-Synthe, le service municipal sont les opérateurs de l’accompagnement des habitants pour un passage à l’action. Les jardins en pied d’immeubles évoqués précédemment sont concrètement les résultats de l’intervention d’agents municipaux de l’université populaire. Ce sont également d’autres services coconstruits avec les habitants qui se développement dans le cadre des activités de l’université populaire : les écrivains publics, la grainothèque, la banque de semences potagères, la formation des maîtres composteurs, les ateliers du faire soi-même (produits écologiques, peinture au naturel), les repairs-cafés en lien avec Troc et Co, le système d’échanges de biens et services et la monnaie citoyenne locale.

Bon nombre d’habitants s’engagent dans ces projets alternatifs pour des raisons économiques et financières, d’autres par une conscience environnementale. In fine, ces projets produisent des liens de solidarité forts entre les habitants, une plus grande cohésion sociale, un apprentissage de savoir-faire, et, indéniablement, un éveil des consciences sur les enjeux environnementaux. Ce sont tout autant de ressorts pour construire la résilience du territoire, et des résultats non négligeables pour une partie de la population engluée dans des situations d’urgence sociale de très court terme.

 

  • Se projeter ensemble dans un futur durable et désiré

Une démarche de transition appelle chacun à se projeter, à construire une vision positive de l’avenir. Cela interpelle donc directement notre vision du monde de demain, nos façons de vivre ensemble, de gérer les biens communs… Mais comment inventer un imaginaire collectif autour d’un futur souhaitable, durable et désirable ? Comment intéresser le plus grand nombre d’acteurs du territoire jeunes, moins jeunes, actifs et non actifs, acteurs économiques, acteurs associatifs… ? Et comment les rendre acteurs du changement et accélérer les formes d’innovations locales ?

Pour construire des éléments de réponse à ces questionnements, la ville a confié à un groupement d’experts l’animation d’une démarche de prospective participative qui s’est tenue courant de l’année 2016. La mise en récit de la transition appliquée à Grande-Synthe fut un des outils clés de la méthodologie d’intervention de l’équipe de prospectivistes composée d’un sociologue, d’un anthropologue et d’un économiste. Trois raisons ont guidé ce choix méthodologique. Un récit qui peut se raconter fait sens. Il permet en outre d’ordonner la complexité, et enfin favorise les échanges et la coproduction.

Pour écrire un récit accessible à tous, l’option retenue a été de construire une trame narrative qui prend racine dans l’histoire de la commune et dans l’imaginaire des Grand-Synthois. L’approche des super-héros qui fut privilégiée visait à attirer l’attention et à interpeller la population et les acteurs locaux autour des grands enjeux de la Transition écologique, sociale et économique du territoire. Trois supers-héros, Usinor, Végétalor et Connector, ont ainsi permis d’engager des débats plus spécifiquement autour de trois grandes problématiques : le travail et l’emploi ; le bien-être et la dignité humaine ; les capacités d’action et de transformation de chacun. Ces supers-héros ont également servi de média pour susciter et encourager les Grand-Synthois à être pleinement les héros ordinaires de leur propre histoire et à construire le grand récit de la Transition de Grande-Synthe. Ainsi, des débats mobiles au plus près des habitants et usagers de la ville lors de la fête du 1er mai, de marchés de plein air toujours très fréquentés ou encore de braderies, ont constitué des espaces d’échanges et de sensibilisation ouverts auprès d’un très large public. Ces débats ont été à la fois des points publics d’informations dans la rue sur les enjeux de transition, des points d’écoute et de captation de parole écrite et orale, des idées et des imaginaires des habitants. En chiffres, ce sont plus de 1500 personnes impactées, 150 avis récoltés. En parallèle, des ateliers participatifs avec un public mixte — agents de la ville, habitants-usagers des maisons de quartier, lycéens — ont permis de sonder les imaginaires de chacun sur des pistes de solutions pour des modes de vie plus durables. Enfin, des séminaires réunissant les élus, les responsables et chefs de service de la ville de Grande-Synthe et de la communauté urbaine de Dunkerque, ainsi que des experts de l’ADEME et de l’agence d’urbanisme de Dunkerque ont permis de nourrir ce grand récit et de le mettre en perspective à travers un cadre stratégique proposé par l’un des experts.

Pour restituer tout ce travail, une exposition dénommée « La transformation de Grande-Synthe en Actions ! » illustre de façon ludique la trajectoire et les transitions de la ville, ainsi que les résultats des différents débats de terrain, et les solutions d’ores et déjà à l’œuvre dans les domaines du Bâtiment, de l’Emploi, des Transports, de l’Alimentation. L’approche B.E.T.A. constitue en soi un cadre commun d’actions où chacun est appelé à apporter sa contribution pour concrétiser la transition économique, écologique et sociale à l’échelle de Grande-Synthe.

À l’issue de la démarche de prospective participative, en novembre 2016, la ville de Grande-Synthe a organisé un premier Forum de la transition économique, écologique et sociale[2]. Ce Forum a constitué un temps fort de débat et d’interpellation sur le modèle de développement de demain à l’échelle du Dunkerquois. La restitution du travail de prospective participative y fut présentée et a contribué au débat. Plus de 250 participants d’horizons différents — décideurs politiques, décideurs économiques dont des industriels, des partenaires sociaux, et forces vives du territoire — étaient réunis pour ce premier Forum. Un second forum prévu au printemps 2018 cherchera à ancrer dans le paysage local le processus de dialogue social/sociétal territorial initié en 2016. Ce processus nous semble est un des leviers-clés pour un changement d’échelle. En d’autres termes, concrétiser la transformation du modèle de développement économique à l’échelle de l’agglomération, se préparer ensemble aux mutations en cours et défis à venir, et renforcer la résilience du territoire et de son tissu industriel et économique, tout en facilitant l’émergence de nouveaux modèles économiques d’entreprises inscrits dans une perspective de durabilité.

*

Dans sa démarche de ville en transition, la ville de Grande-Synthe a pour ambition de construire un nouveau modèle de développement plus juste socialement, tout en prenant en compte les limites écologiques de la planète. La transition est un cheminement, une évolution nécessairement graduée entre un état et un autre. La mise en récit de la transition vise ainsi à construire les étapes vers un développement plus durable. Elle vise aussi à toucher un public de plus en plus large. Un projet de transition se construit avec les habitants, les acteurs institutionnels, économiques et sociaux. Il n’y a pas de recette à appliquer ! Néanmoins, la prise de conscience de la fin d’un modèle est nécessaire. Le deuil du modèle d’hier est même indispensable pour inventer un futur durable.

L’identité du territoire constitue en soi un ressort clé pour engager les acteurs du territoire dans un processus de changement global et la construction d’un autre modèle de développement. Comme l’a mise en évidence la démarche de prospective participative, la transition est d’ores et déjà à l’œuvre à Grande-Synthe, encore faut-il identifier et caractériser ces signaux parfois faibles, la révéler au plus grand nombre et aider chacun à se l’approprier. Le rôle de la collectivité est de donner l’exemple, mais aussi d’accompagner et d’amplifier les initiatives des acteurs du territoire pour inscrire la transition dans le quotidien, dans les modes d’habiter, de travailler, de déplacement, de consommation et d’alimentation. Tous ces petits pas amènent progressivement à des formes de rupture notamment culturelle, sociale et économique : rapport aux idées reçues, rapport aux autres, au matériel et à l’immatérielle, etc. La capacité d’agir et d’innover, ainsi que la recherche d’autonomie à l’échelle individuelle comme à l’échelle du territoire sont les moteurs des dynamiques locales de transition à l’instar de ce qui est engagé à Grande-Synthe. C’est une nouvelle étape du développement durable en cours dans les territoires qui s’appuie sur des formes de démocratie plus contributive et la construction d’un nouvel imaginaire collectif pour un futur commun durable et désirable.

 

 

Face aux désordres globaux environnementaux, économiques et sociaux, les territoires, en particulier les territoires urbains, qui subissent directement les effets négatifs et parfois cumulés du modèle productiviste hérité du xxe siècle, sont exhortés à trouver des réponses alternatives. De nombreux territoires font ainsi montre d’un volontarisme politique affirmé pour inventer un nouveau paradigme de développement, notamment au travers d’un projet de Transition.

Changer de paradigme ne se décrète pas. Et l’engagement en faveur d’une transition globale, écologique, sociale et économique, à l’échelle d’un territoire n’est possible, de notre point de vue, que lorsque la prise de conscience des limites du modèle économique dominant et le constat de sa non-pérennité sont réellement partagés. C’est, en l’occurrence, la situation vers laquelle tend la ville de Grande-Synthe, où les indicateurs économiques et sociaux, de santé sociale et de développement humain, sont au rouge, et ce, depuis des années. Dès lors, le projet de transition de Grande-Synthe se traduit par la volonté de changer ensemble de trajectoire de développement. Cette bifurcation se construit pas à pas, appelant aussi des formes de rupture. Le défi est de construire une vision partagée et désirée d’un futur commun et d’un vivre-ensemble, et, surtout, de le mettre en acte, ici et maintenant. Voici toute l’ambition de la démarche de ville en transition impulsée par le maire et les élus locaux, en référence au mouvement Transition Town initié par Rob Hopkins. En ce sens, la démarche de transition engagée à Grande-Synthe constitue un projet global et cohérent de développement qui repose à la fois sur un volontarisme politique fort et une dynamique collective cherchant à impliquer l’ensemble des acteurs du territoire. Nous présenterons, dans une première partie, le contexte de la ville de Grande-Synthe, son histoire et l’origine de son engagement en faveur d’un développement durable. Puis, dans une deuxième partie, nous développerons les caractéristiques et marqueurs du projet politique de transition mise en œuvre à Grande-Synthe. Nous présenterons également une démarche originale de prospective participative visant à renforcer l’appropriation collective et l’engagement de tous en faveur d’une transition économique, écologique et sociale du territoire.

 

2— Grande-Synthe : engagement d’une ville vers un développement plus durable

 

  • Une ville industrielle, archétype d’une ville non durable

Située dans le département du Nord, seconde ville de la communauté urbaine de Dunkerque avec plus de 23 600 habitants, Grande-Synthe était, dans les années 50, un petit village de maraîchers et de pêcheurs. Dans les années 1960, ce village se transforma en une ville industrielle à la croissance démographique impressionnante sous l’effet du développement industrialo-portuaire de Dunkerque.

En 1956, l’État décidait en effet, la reconstruction et l’extension du port de Dunkerque avec l’implantation d’Usinor, actuellement Arcelor-Mittal, une usine sidérurgique sur l’eau sur le territoire communal de Grande-Synthe. Près d’un tiers de la superficie de la commune fut dédié à l’usine sidérurgique. La construction de l’usine s’échelonna de 1959 à 1962. Ainsi, pendant les années 60, la population est passée de 1 500 à plus de 12 000 habitants. Dans les années 80, la population augmenta même jusqu’à 25 000 habitants pour ensuite décroître.

Sortie de terre dans les années 60, une majeure partie des quartiers nord de la ville ont été le fruit d’un urbanisme en chemin de grue. Il a fallu construire, et vite. Et les premiers immeubles construits à la hâte vingt ans plus tôt ont été finalement démolis dès 1982. Grâce aux programmes de « développement social des quartiers » (DSQ) cofinancés par l’État et la région, la ville dédensifia les quartiers nord en détruisant plusieurs barres et tours HLM. La municipalité décida alors de les remplacer par des espaces verts.

Depuis cette époque, plusieurs quartiers, précisément 3 sur les 5 qui composent la ville, ont fait l’objet d’ambitieux programmes de rénovation grâce notamment aux programmes nationaux de renouvellement urbain, en particulier l’ANRU.

Sur les quinze dernières années, la ville a parachevé sa transformation urbaine. Dans les années 1960-1970, la ville était façonnée par l’automobile : grandes pénétrantes, larges avenues traversant la ville au nord et au sud. Aussi, lors de la rénovation, l’urbanisme a été totalement repensé : création d’un centre-ville, liaisons entre les quartiers, schéma de pistes cyclables, cheminements piétonniers, mixité fonctionnelle à l’échelle des quartiers, équipements publics de proximité… Les logements énergivores d’hier font place aujourd’hui à des logements BBC, HPE et THPE.

Suite au premier choc pétrolier de 1973, le développement de Grande-Synthe, et plus largement du Dunkerquois, a été, une première fois, fortement ralenti. Alors qu’Usinor employa jusqu’à 13 500 personnes, Arcelor-Mittal emploie actuellement à peine 3 500 salariés. Exacerbée par la désindustrialisation du territoire, et, dernièrement, par la crise économique de 2008, la situation économique et sociale à l’échelle de la ville s’est fortement dégradée. Actuellement, la ville compte un taux de 24 % de chômage, avec un pourcentage de près de 40 % chez les moins de 25 ans, et 31 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.

La fabrication de la ville a été calquée sur la logique industrielle. Elle en porte encore les stigmates. Changer de modèle de développement est ici un impératif ! Se déclarer en transition, revient ainsi à s’engager sur un autre chemin en termes de développement économique, d’habitabilité du territoire et de vivre ensemble.

 

  • La ville grandeur nature

Dès les années 70, l’équipe municipale prend pleinement conscience de l’impact d’un tel développement sur l’environnement et le cadre de vie. L’amélioration de ce dernier et, plus largement, de la qualité de vie devient un objectif politique local. Cet objectif émerge, d’ailleurs, parallèlement à la prise de conscience environnementale qui a lieu à la même époque un peu partout en Europe et dans le monde (1972 : premier Rapport Meadows, Conférence de Stockholm sur l’environnement). Localement, il s’agit là d’une bifurcation importante dans la trajectoire de développement de la ville. La municipalité a ainsi planté un bois avec les habitants, dès 1974, à l’ouest de la commune, autour d’un lac artificiel, creusé pour répondre à un besoin de remblais pour la construction de la future autoroute A16. L’idée était de constituer le poumon vert de la ville. Il s’étend actuellement sur près de 130 hectares. Aujourd’hui, ce poumon vert fait partie avec d’autres espaces naturels de la ville d’une réserve naturelle régionale d’une superficie de 173 hectares. Elle constitue d’ailleurs l’une des plus importantes surfaces boisées d’un seul tenant à l’échelle du département du Nord.

De même, la ville a également très tôt fait le choix de réaliser une ceinture boisée autour de la commune dans la perspective de réaliser un écran végétal pour séparer physiquement la ville et ses logements de l’usine. Au fil des années, cette ceinture s’est développée formant un véritable corridor écologique de plus de 3 kilomètres de long, sur une superficie totale de près de 18 hectares. Ce corridor ceinture littéralement la ville. En effet, dans les années 2000, la municipalité a décidé de planter, de manière massive, des arbres fruitiers en ville, au niveau de la ceinture boisée donc, mais également dans les espaces verts de la ville où sont ainsi apparus des vergers. Aujourd’hui, à l’échelle de la ville, on ne dénombre pas moins de 400 hectares d’espaces verts ou naturels gérés de manière écologique, des espaces naturels et semi-naturels ayant un plan de gestion ad hoc. La gestion différenciée des espaces verts a été expérimentée dès le milieu des années 90, puis généralisée à l’échelle de la ville dès 2005. En parallèle, la ville a progressivement diminué l’usage des produits phytosanitaires pour les bannir totalement depuis 2011.

Tous ces efforts pour transformer la ville minérale des années 60 en une ville verte et, désormais, une ville nature favorable au maintien et au développement de la biodiversité ont été récompensés ces dernières années par de multiples distinctions. Ainsi, Grande-Synthe a reçu 4 fleurs au concours des Villes fleuries depuis 1990, le Grand prix national de l’arbre en 1992 et en 2005, le Grand prix du fleurissement en 2003 et 2009. La consécration fut, en 2010, l’obtention du prix de la première Capitale française de la biodiversité. Comme le rappelle souvent Damien Carême, Maire de Grande-Synthe depuis 2001 : « la nature constitue le patrimoine commun des Grand-Synthois ». Les résultats de ce changement de trajectoire de la ville, engagée dès les années 70, sont assez remarquables. Voici quelques chiffres :

— 127 m² d’espaces verts ou naturels par habitant ;

— 95 % de la population vivent à moins de 300 mètres d’un espace vert ou naturel ;

— Un patrimoine écologique d’espèces animales et végétales reconnu scientifiquement ;

— 400 hectares d’espaces verts ou naturels et une réserve naturelle régionale boisée de près de 173 hectares ;

— La généralisation d’une gestion écologique et du zéro phytosanitaire.

 

Cette politique de nature en ville constitue le socle de la politique de transition de Grande-Synthe vers un développement durable. Elle concourt au changement d’image de la ville et à son attractivité. Grande-Synthe gagne, en effet, certes modestement, de nouveaux habitants contrairement au reste du territoire de la Communauté urbaine de Dunkerque.

Elle participe de surcroît à un réel sentiment de fierté de la population. Depuis les années 70, les habitants ont été constamment associés, et sous différentes formes, à cette politique : de la plantation du bois autour du lac artificiel du Puythouck, avec les enfants et les parents, aux ateliers de travaux urbains avec les habitants dans les quartiers. De nombreuses initiatives associatives ont émergé. Citons notamment l’association aux résidences fleuries et, plus récemment, l’association l’Ecochalet, l’Abeille synthoise qui produit du miel made in Grande-Synthe.

 

  1. Grande-Synthe : vers une transition écologique et solidaire

 

  • L’exemplarité : la seule manière de convaincre

En vue de renforcer et d’amplifier sa démarche vers un développement plus durable, la Ville de Grande-Synthe s’est engagée, en 2011, par délibération du conseil municipal, dans une démarche de ville en transition en référence au mouvement international Transition Town initié par Rob Hopkins. La collectivité aspire ainsi à renforcer la résilience de son territoire en réduisant sa dépendance aux énergies fossiles et en s’adaptant aux effets du changement climatique.

 

Cet engagement constitue également une nouvelle étape, en réponse à la signature officielle par la municipalité de la Convention des maires et l’adoption en 2009 d’un plan d’actions pour l’énergie durable ambitieux d’ici 2020.

Comme de nombreuses collectivités locales à travers l’Europe, Grande-Synthe s’est engagée, de manière volontariste, à réduire de 20 % ses émissions de gaz à effet de serre, à atteindre 20 % d’économie d’énergie, et 20 % d’énergies renouvelables dans la consommation totale d’énergie de la commune, le tout d’ici 2020. La ville a d’ores et déjà atteint près de 40 % de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre au niveau du parc automobile et de 34 % au niveau de l’éclairage public municipal. Par ailleurs, la part des énergies renouvelables au niveau de la consommation d’énergie de la commune atteint d’ores et déjà près de 75 %. Les réductions de consommation d’énergie sont systématiquement recherchées que ce soit au niveau de l’éclairage public, au travers d’actions ciblées de rénovation thermique du patrimoine communal, ou encore grâce aux objectifs de performance énergétique assignés aux nouveaux équipements publics. Sur la trajectoire du facteur 4, les signataires de la Convention des maires s’engagent, désormais, sur des objectifs forts à horizon 2030, comme la réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre, et ce, en vue d’accélérer la décarbonisation de leurs territoires et de renforcer leurs capacités à s’adapter aux effets inévitables du changement climatique.

Dans cette perspective, le projet de ville en transition, initié dès 2011 à l’échelle de Grande-Synthe, cherche à activer la capacité des habitants et des acteurs du territoire d’agir et de s’adapter. Construire la résilience du territoire, au regard des enjeux énergétique et climatique, appelle à inventer des modes de vie prenant en charge les enjeux environnementaux globaux, mais également des objectifs de justice sociale et d’épanouissement individuel afin que chacun puisse vivre dignement. Intégrer les enjeux sociaux et écologiques est d’autant plus une exigence forte dans des contextes territoriaux, à l’instar de Grande-Synthe, où les indicateurs sociaux et économiques sont au rouge.

 

  • Partir des besoins pour construire des réponses globales et accompagner l’évolution des modes de vie

Pour conduire une transition vers un nouveau modèle de développement plus durable, il faut d’abord partir des besoins des habitants et des acteurs locaux : l’accès à une alimentation saine, à la mobilité (en particulier lorsque 25 % des foyers n’ont pas de véhicule), à l’habitat, à la santé et à un environnement de qualité pour tous. Cela constitue autant de clés d’entrées prioritaires pour concrétiser la dynamique de transition à l’échelle de Grande-Synthe.

L’expérimentation et l’innovation technique/technologique, sociale, économique, la recherche d’alternatives constitue des principes d’intervention publique assumés par le volontarisme politique local.

Les projets ANRU menés sur la ville ont ainsi été des accélérateurs de la transition. Et la recherche d’une cohérence de l’ensemble des actions publiques locales a permis de tendre vers une politique municipale globale de Transition qui prend appui sur une dynamique collective bottom-up.

On compte actuellement près de 63 % de logements sociaux sur la ville. L’accès pour tous à un logement de qualité est une priorité de la politique de transition. Ainsi, les logements reconstruits à partir de 2008-2009 dans le cadre de l’ANRU sont tous aux normes BBC, anticipant ainsi la réglementation thermique de 2012. Un premier logement collectif passif a même été dernièrement réalisé dans le cadre de la rénovation urbaine. Des équipements municipaux à énergie positive ont également été construits dans la logique de monter l’exemple et de donner un signal fort aux habitants et aux partenaires de la ville. De manière systématique dans les projets ANRU, la requalification des espaces publics et de la voirie et, le développement de nouveaux usages ont été recherchés. Ce mode d’intervention a également eu des effets d’entraînement sur le reste de la ville.

Ainsi, la place de l’automobile sur l’espace public a été fortement réduite à la faveur de celles des piétons et des cyclistes. À l’échelle de la ville, un schéma d’aménagement cyclable a été coconstruit avec les habitants et les associations locales. Dorénavant, 43 km de pistes cyclables maillent les 5 quartiers de la ville. Pour inciter les habitants à utiliser le vélo, la municipalité a installé 350 attache-vélos en ville, et équipé six écoles de garages à vélo, à la suite d’une concertation avec les équipes éducatives, les parents d’élèves et les enfants. Une subvention pour l’achat de vélos classiques a été accordée et 600 aides ont été délivrées en 2017. Des cours d’apprentissage du vélo pour adulte sont proposés aux habitants par la maison de santé de la ville. En ville, des panneaux indicateurs sur les temps de parcours à pied et à vélo, réalisés avec les associations locales, incitent aux modes de déplacements actifs.

Dans la logique d’une requalification des espaces publics et la promotion de nouveaux usages, les grandes pelouses en pied d’immeubles sont devenues des jardins populaires. Sur ces espaces publics (donc zéro phyto) mis à la disposition des habitants, le jardinage écologique est la condition sine qua non. Cet apprentissage auprès des jardiniers amateurs est assuré par les services de la ville. Le premier jardin a été inauguré en 2012. En 2017, un sixième jardin fut lancé. Des initiatives d’habitants suivent et amplifient ce phénomène, à l’instar du projet associatif « La forêt qui se mange » qui développe un espace nourricier en permaculture sur un terrain de 5 400 m² mis à disposition par la ville. Ce projet est porté par les habitants, pour les habitants. De l’écopâturage au maraîchage biologique animé par une entreprise d’insertion (près de 500 parcelles de jardins ouvriers, d’environ chacune 200 m²), en passant par les jardins écologiques de proximité et les arbres fruitiers en ville, Grande-Synthe s’invente ville nourricière.

Changer les comportements et les habitudes ne se décrète pas ! Tout l’art de cette politique de Transition est d’articuler, ou du moins de mettre en cohérence, les choix individuels et les choix collectifs, et ce, dans les différents domaines de la vie quotidienne (habitat, mobilité, santé, alimentation…).

 

3— Anticiper plutôt que subir : rendre chacun acteur du changement

 

  • La pédagogie: levier essentiel d’une transition

L’implication active des habitants et des acteurs de la ville, comme acteurs du changement, constitue un fil rouge transversal de la démarche locale de transition. Les finalités sont ici la recherche de l’autonomie des habitants et le renforcement de leur pouvoir d’agir, en particulier pour les personnes les plus démunies ou en difficulté.

L’éducation populaire est l’outil de la politique locale de transition. La transition se veut une expérience positive personnelle et/ou collective. Les maisons de quartiers (structures de proximité présentes dans chaque quartier et fonctionnant comme un centre social), l’université populaire de Grande-Synthe, le service municipal sont les opérateurs de l’accompagnement des habitants pour un passage à l’action. Les jardins en pied d’immeubles évoqués précédemment sont concrètement les résultats de l’intervention d’agents municipaux de l’université populaire. Ce sont également d’autres services coconstruits avec les habitants qui se développement dans le cadre des activités de l’université populaire : les écrivains publics, la grainothèque, la banque de semences potagères, la formation des maîtres composteurs, les ateliers du faire soi-même (produits écologiques, peinture au naturel), les repairs-cafés en lien avec Troc et Co, le système d’échanges de biens et services et la monnaie citoyenne locale.

Bon nombre d’habitants s’engagent dans ces projets alternatifs pour des raisons économiques et financières, d’autres par une conscience environnementale. In fine, ces projets produisent des liens de solidarité forts entre les habitants, une plus grande cohésion sociale, un apprentissage de savoir-faire, et, indéniablement, un éveil des consciences sur les enjeux environnementaux. Ce sont tout autant de ressorts pour construire la résilience du territoire, et des résultats non négligeables pour une partie de la population engluée dans des situations d’urgence sociale de très court terme.

 

  • Se projeter ensemble dans un futur durable et désiré

Une démarche de transition appelle chacun à se projeter, à construire une vision positive de l’avenir. Cela interpelle donc directement notre vision du monde de demain, nos façons de vivre ensemble, de gérer les biens communs… Mais comment inventer un imaginaire collectif autour d’un futur souhaitable, durable et désirable ? Comment intéresser le plus grand nombre d’acteurs du territoire jeunes, moins jeunes, actifs et non actifs, acteurs économiques, acteurs associatifs… ? Et comment les rendre acteurs du changement et accélérer les formes d’innovations locales ?

Pour construire des éléments de réponse à ces questionnements, la ville a confié à un groupement d’experts l’animation d’une démarche de prospective participative qui s’est tenue courant de l’année 2016. La mise en récit de la transition appliquée à Grande-Synthe fut un des outils clés de la méthodologie d’intervention de l’équipe de prospectivistes composée d’un sociologue, d’un anthropologue et d’un économiste. Trois raisons ont guidé ce choix méthodologique. Un récit qui peut se raconter fait sens. Il permet en outre d’ordonner la complexité, et enfin favorise les échanges et la coproduction.

Pour écrire un récit accessible à tous, l’option retenue a été de construire une trame narrative qui prend racine dans l’histoire de la commune et dans l’imaginaire des Grand-Synthois. L’approche des super-héros qui fut privilégiée visait à attirer l’attention et à interpeller la population et les acteurs locaux autour des grands enjeux de la Transition écologique, sociale et économique du territoire. Trois supers-héros, Usinor, Végétalor et Connector, ont ainsi permis d’engager des débats plus spécifiquement autour de trois grandes problématiques : le travail et l’emploi ; le bien-être et la dignité humaine ; les capacités d’action et de transformation de chacun. Ces supers-héros ont également servi de média pour susciter et encourager les Grand-Synthois à être pleinement les héros ordinaires de leur propre histoire et à construire le grand récit de la Transition de Grande-Synthe. Ainsi, des débats mobiles au plus près des habitants et usagers de la ville lors de la fête du 1er mai, de marchés de plein air toujours très fréquentés ou encore de braderies, ont constitué des espaces d’échanges et de sensibilisation ouverts auprès d’un très large public. Ces débats ont été à la fois des points publics d’informations dans la rue sur les enjeux de transition, des points d’écoute et de captation de parole écrite et orale, des idées et des imaginaires des habitants. En chiffres, ce sont plus de 1500 personnes impactées, 150 avis récoltés. En parallèle, des ateliers participatifs avec un public mixte — agents de la ville, habitants-usagers des maisons de quartier, lycéens — ont permis de sonder les imaginaires de chacun sur des pistes de solutions pour des modes de vie plus durables. Enfin, des séminaires réunissant les élus, les responsables et chefs de service de la ville de Grande-Synthe et de la communauté urbaine de Dunkerque, ainsi que des experts de l’ADEME et de l’agence d’urbanisme de Dunkerque ont permis de nourrir ce grand récit et de le mettre en perspective à travers un cadre stratégique proposé par l’un des experts.

Pour restituer tout ce travail, une exposition dénommée « La transformation de Grande-Synthe en Actions ! » illustre de façon ludique la trajectoire et les transitions de la ville, ainsi que les résultats des différents débats de terrain, et les solutions d’ores et déjà à l’œuvre dans les domaines du Bâtiment, de l’Emploi, des Transports, de l’Alimentation. L’approche B.E.T.A. constitue en soi un cadre commun d’actions où chacun est appelé à apporter sa contribution pour concrétiser la transition économique, écologique et sociale à l’échelle de Grande-Synthe.

À l’issue de la démarche de prospective participative, en novembre 2016, la ville de Grande-Synthe a organisé un premier Forum de la transition économique, écologique et sociale[3]. Ce Forum a constitué un temps fort de débat et d’interpellation sur le modèle de développement de demain à l’échelle du Dunkerquois. La restitution du travail de prospective participative y fut présentée et a contribué au débat. Plus de 250 participants d’horizons différents — décideurs politiques, décideurs économiques dont des industriels, des partenaires sociaux, et forces vives du territoire — étaient réunis pour ce premier Forum. Un second forum prévu au printemps 2018 cherchera à ancrer dans le paysage local le processus de dialogue social/sociétal territorial initié en 2016. Ce processus nous semble est un des leviers-clés pour un changement d’échelle. En d’autres termes, concrétiser la transformation du modèle de développement économique à l’échelle de l’agglomération, se préparer ensemble aux mutations en cours et défis à venir, et renforcer la résilience du territoire et de son tissu industriel et économique, tout en facilitant l’émergence de nouveaux modèles économiques d’entreprises inscrits dans une perspective de durabilité.

*

Dans sa démarche de ville en transition, la ville de Grande-Synthe a pour ambition de construire un nouveau modèle de développement plus juste socialement, tout en prenant en compte les limites écologiques de la planète. La transition est un cheminement, une évolution nécessairement graduée entre un état et un autre. La mise en récit de la transition vise ainsi à construire les étapes vers un développement plus durable. Elle vise aussi à toucher un public de plus en plus large. Un projet de transition se construit avec les habitants, les acteurs institutionnels, économiques et sociaux. Il n’y a pas de recette à appliquer ! Néanmoins, la prise de conscience de la fin d’un modèle est nécessaire. Le deuil du modèle d’hier est même indispensable pour inventer un futur durable.

L’identité du territoire constitue en soi un ressort clé pour engager les acteurs du territoire dans un processus de changement global et la construction d’un autre modèle de développement. Comme l’a mise en évidence la démarche de prospective participative, la transition est d’ores et déjà à l’œuvre à Grande-Synthe, encore faut-il identifier et caractériser ces signaux parfois faibles, la révéler au plus grand nombre et aider chacun à se l’approprier. Le rôle de la collectivité est de donner l’exemple, mais aussi d’accompagner et d’amplifier les initiatives des acteurs du territoire pour inscrire la transition dans le quotidien, dans les modes d’habiter, de travailler, de déplacement, de consommation et d’alimentation. Tous ces petits pas amènent progressivement à des formes de rupture notamment culturelle, sociale et économique : rapport aux idées reçues, rapport aux autres, au matériel et à l’immatérielle, etc. La capacité d’agir et d’innover, ainsi que la recherche d’autonomie à l’échelle individuelle comme à l’échelle du territoire sont les moteurs des dynamiques locales de transition à l’instar de ce qui est engagé à Grande-Synthe. C’est une nouvelle étape du développement durable en cours dans les territoires qui s’appuie sur des formes de démocratie plus contributive et la construction d’un nouvel imaginaire collectif pour un futur commun durable et désirable.

 

[1]. www.forumtransition.fr.

[2]. www.forumtransition.fr.

[3]. www.forumtransition.fr.

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