Service public et engagement civique, le new deal
Mercredi 13 février 2019
Alors que la France est traversée depuis plusieurs semaines par une crise sociale de forme et d’ampleur inédites, le Haut-commissaire à l’engagement civique et président de l’Agence du service civique Yannick Blanc a souhaité prendre la parole dans une tribune publiée sur Carenews. Cette période de transition que connaît notre société voit l’affaiblissement des modes d’expression traditionnels au profit de nouveaux types d’engagements. Le bénévolat, le mécénat et les nouvelles expressions de solidarité et d’innovation sociale peuvent ainsi répondre aux enjeux de société et consolider le service public auquel les Français montrent un grand attachement.
La parole libérée par la crise des gilets jaunes a fait surgir des plaintes, des questions et des indignations multiformes que le président de la République a cherchées, en lançant le grand débat national, à sérier en trente-cinq questions. Parmi celles-ci, comment résoudre le paradoxe entre le refus de l’impôt et la demande de service public ? La réponse ne me paraît pas devoir se limiter aux choix des dépenses publiques qu’il faudrait réduire mais devrait envisager la diversité des modes de contribution des citoyens au bien commun. Il y a en effet de bonnes raisons de penser que, loin de la caricature d’individualistes râleurs qu’ils donnent parfois d’eux-mêmes, les Français expriment un fort désir d’engagement solidaire. La Fonda vient de publier une enquête, réalisée par le Centre de recherche sur les associations de l’Université de Nantes, qui montre qu’en quinze ans, le volume de participation bénévole des Français, c’est-à-dire le nombre de participations multiplié par leur durée, a été multiplié par 2,5. Si le secteur du sport, de la culture et des loisirs reste le plus important pour le bénévolat, c’est celui des associations de solidarité qui a le plus bénéficié de cette croissance de l’engagement. En une dizaine d’années, la France, où l’on aura en 2018 accueilli 140 000 jeunes en service civique, est devenue n°1 en Europe pour le volontariat des jeunes. Pendant ce temps, la Journée citoyenne imaginée par Fabian Jordan, maire de Berrwiller (1 200 habitants), qui consiste à mobiliser bénévolement les habitants d’une commune ou d’un quartier pour réaliser ensemble des projets qu’ils ont eux-mêmes proposés, s’est, sans incitation ni soutien de l’État, instaurée dans 2 000 communes françaises.
À l’heure où l’érosion de la participation électorale comme l’affaiblissement inexorable des partis politiques et des syndicats menacent la vitalité démocratique de notre pays, l’énergie de l’engagement citoyen est toujours là mais elle prend d’autres formes, elle épouse d’autres causes. Elle est à mes yeux, bien plus que l’aléatoire référendum, l’expression d’une démocratie directe et participative qui est la face claire du mouvement des gilets jaunes. Elle est inclusive parce qu’elle permet la rencontre entre les premiers de cordées et les invisibles, entre le mécénat de compétences et la solidarité de voisinage. Pour peu que le politique lui reconnaisse la place qui lui revient, elle peut aussi être une réponse au paradoxe de la dépense publique et de l’impôt. Tout enjeu de société, toute politique publique ne se résume pas à des lois, des normes et des dépenses, mais appelle aussi un travail de structuration de l’action collective, indispensable lorsqu’il s’agit de faire évoluer les comportements. Comment s’étonner que certains de nos concitoyens rejettent une transition écologique qui ne se traduit que par de nouvelles contraintes et de nouvelles taxes ? Une stratégie de la transition ne devrait-elle pas accorder plus d’attention, de moyens et de reconnaissance aux initiatives et aux innovations qui, mobilisant tant l’engagement bénévole que l’esprit d’entreprise, transforment la mobilité, la production d’énergie et les comportements alimentaires ? Comment réduire le gaspillage et la production de déchets sans soutenir l’engagement minuscule de tous ceux qui trient, recyclent et compostent ?
Il ne s’agit certainement pas de remplacer le service public par du travail gratuit mais de prendre acte de l’usure d’une relation tutélaire et normative entre l’État et les citoyens pour imaginer une relation coopérative et régulatrice, qui est aussi celle à laquelle aspirent les agents publics dont elle renouvelle puissamment la motivation. La coopération entre professionnels et bénévoles existe déjà à très grande échelle dans les associations qui contribuent au service public, dans les secteurs de la solidarité, du handicap ou de l’éducation populaire. Elle n’est pas dépourvue de difficultés mais elle constitue un capital d’expérience inestimable. Les dispositifs d’engagement public n’ont pas la même ampleur, mais ils sont porteurs d’innovation : partout où ils se déploient, le Service civique, la Réserve civique, les réserves citoyennes répondent à des besoins qui échappent aux modes d’action classiques des services publics et permettent à ceux qui s’y engagent d’acquérir des compétences quand ils sont jeunes, de faire vivre celles qu’ils ont gardé de leur vie professionnelle quand il s’agir de seniors et d’éprouver ce sentiment d’utilité qui est le motif commun à toutes les formes d’engagement.
Prenant la mesure des dégâts causés par la suppression des emplois aidés, le président de la République a, lors du débat de Courcouronnes, annoncé un plan pour soutenir l’emploi dans les petites associations qui sont les artisans du lien social. La société de l’engagement qu’il appelle de ses vœux mérite elle aussi une ambition et une stratégie.
Yannick Blanc, Haut-commissaire à l’engagement civique pour Carenews PRO