Réindustrialisation et développement territorial
Analyses et propositions

Introduction

La réindustrialisation des territoires est d’une importance cruciale pour notre pays. En effet, la pandémie du
COVID a mis en évidence le manque de résilience, voire la fragilité, de certaines des chaînes de valeurs
industrielles internationales. D’une façon plus systémique, cette pandémie est intervenue à un moment de
basculement sociétal, entraîné par de profondes mutations démographiques, numériques,
environnementales, énergétiques et économiques, auxquelles s’ajoutent des considérations géopolitiques de
grande intensité.
Dès sa création, la Société Française de Prospective a mené des travaux de prospective territoriale, au sein
d’une Commission dédiée à ce sujet, dont les premières contributions ont porté sur les méthodes de
prospective territoriale et constituent un fonds dans lequel on peut encore puiser.
Dans la continuité de ces travaux initiaux, cette Commission, composée d’adhérents de la SFdP spécialistes
de l’industrie, de l’innovation, du développement humain et de celui des territoires a entrepris de conduire une
réflexion sur ce thème de la réindustrialisation des territoires, cette notion englobant celles de la
relocalisation, de la réindustrialisation, de la résilience, de l’adaptabilité et du renforcement du tissu
économique et social des territoires.
Le rapport détaillé qui découle des travaux de la Commission comprend deux notes, la première dite
« stratégique », qui aborde les problématiques des « Facteurs déterminants pour la réindustrialisation des
territoires à l’horizon d’une décennie », importante pour la conception des politiques publiques locales, et la
seconde sur la « gouvernance » (« la Gouvernance territoriale : approches et enjeux »), utile pour leur mise
en œuvre. Une annexe (« Note de questionnement stratégique ») présente les questions soulevées par les
membres de la Commission dans la première phase de leurs travaux.
Ce rapport souhaite fournir des éléments de connaissance et de réflexion à l’ensemble des acteurs
concernés, pour la définition et la mise en œuvre d’une nouvelle politique industrielle territorialisée, ouverte
aux dimensions multifactorielles du renouveau de l’industrialisation, selon les « tempéraments » des
territoires, leurs capacités « imaginaires » et leurs aspirations au mieux-être, à la justice sociale et territoriale,
au travail, au savoir, aux technologies innovantes, pertinentes et maitrisées, etc….
Il a ainsi pour vocation de faciliter réflexions et débats dans de multiples communautés et notamment en
régions, y compris dans celles les moins bien pourvues pour se réindustrialiser, tant il est vrai que qu’il n’est
rien d’impossible pour cela si l’on s’y prend bien. A cette fin, il convient de s’ouvrir à une prospective proactive
et coconstruite à des échelles territoriales qui peuvent ne pas forcement être définies à priori mais qui se
configureraient selon une dynamique propre aux acteurs engagés.
Cette synthèse présente les conclusions principales et précise les axes de réflexion proposés par les
membres du groupe de travail pour chacune des deux notes citées ci-avant et pour l’annexe qui les complète.
Jean-Éric Aubert
Président de la Société Française de Prospective
ou de demandes de la société (santé, transition écologique,

Réindustrialiser les
territoires :
les clés de la réussite

La réindustrialisation des territoires est un impératif
pour une France qui devra faire preuve de grande
résilience face aux multiples défis qui se profilent :
écologique, social, économique, géopolitique…
Une synthèse – nécessairement partielle – des
études foisonnantes publiées sur ce sujet et des
réflexions conduites par la Commission Prospective
Territoriale de la Société Française de Prospective
met en évidence cinq facteurs déterminants pour
qu’un territoire parvienne à se réindustrialiser :
 Des populations éduquées pleinement,
c’est à dire qui ont acquis un large spectre
de compétences qui relèvent tant des
savoirs, des savoirs être que des savoirs
faire.
 Des dynamiques d’innovation industrielle
porteuses, qu’elles soient structurées
autour de technologies émergentes, de
pôles de compétitivité, de spécialisations
intelligentes,

souveraineté industrielle, etc…)
Des innovations organisationnelles et sociétales facilitant les
chaines de valeur locales, l’économie circulaire, la
mobilisation de l’épargne locale, etc. et, de manière
générale, le « vivre ensemble local ».
Des synergies territoriales stimulées par des marchés
publics et des donneurs d’ordre ouverts aux
expérimentations, et appuyées sur des écosystèmes
économiques et financiers engagés et collaboratifs.
Des acteurs informés et proactifs en matière d’intelligence
économique et de prospective territoriale.
Et tout ceci se déployant dans une gouvernance allant « de
la base vers le sommet » mobilisatrice des énergies, des
talents et des atouts propres à chaque territoire.
Ainsi devraient pouvoir se mettre en place des démarches
efficaces pour tirer le meilleur parti des programmes, au final
richement dotés, proposés au niveau régional, national et
européen.

Les Facteurs déterminants pour la réindustrialisation
des territoires à l’horizon d’une décennie
Les travaux conduits ont été motivés par la
conviction que c’est au sein des territoires que
peuvent s’organiser les relations « horizontales »,
« enracinées », de la myriade d’acteurs contribuant
aux filières souvent mondiales de production,
organisées pour leur part de façon « verticale », car
la proximité physique des protagonistes est un réel
facteur de réussite. L’objectif politique proposé est
prioritairement celui de la « localisation » des
activités d’avenir, pouvant contribuer à apporter
des réponses locales, en tant que de besoin
sociétal, d’efficacité environnementale et de
souplesse économique, à la question du « Pour
quoi produit-on ? ». Cette démarche de
réindustrialisation doit, d’une part, prendre en
considération la diversité des cibles économiques
du système « industrie – hyperindustrie » et la
variété de l’intégration des entreprises dans des
chaines de valeur allant de l’international au local
et, d’autre part, mobiliser les compétences
humaines et les

dynamiques locales au sein d’une gouvernance territoriale
responsable.
Au regard des nombreux travaux récents menés par
ailleurs et de leurs propres éléments d’analyse, Les
membres de la Commission ont convenu que les acteurs
territoriaux, publics ou privés, avaient 5 champs
d’interventions prioritaires, distincts et complémentaires,
pouvant être plus ou moins autonomes les uns par rapport
aux autres. Leurs thèmes et la synthèse de leurs contenus
sont présentés ci-après :

I. Les enjeux humains : savoirs,
savoir-faire et savoir-être, esprit
et culture d’entreprise

L’avenir industriel des territoires repose sur un ensemble
d’enjeux humains qui englobe les diverses formes de
formation initiale et au long de la vie et mobilise un
élargissement de l’éducation dans le développement chez
chacun d’une compréhension globale du monde et de la
conscience de sa responsabilité. En complémentarité de la
mobilisation de capacités d’offre ou d’accompagnement
évolutives et adaptables et d’une amélioration continue de
leur qualité, les territoires auront à investir dans des

démarches de mise en relation ciblée entre les différents
acteurs, de diffusion d’information segmentées par nature
et
définies en fonction des différents profils d’actifs et
de métiers présents sur le territoire, en particulier
les jeunes. Une action pérenne et amplifiée de
sensibilisation à la culture scientifique, technique et
industrielle, adossée à la valorisation du
patrimoine, est également souhaitable.

II. La dynamique d’innovation
industrielle

Renforcer les coopérations et collaborations entre
acteurs complémentaires de l’écosystème
« hyperindustriel », entreprises industrielles, start-
ups, fablabs et centres de recherche locaux, en les
encourageant par la mise en œuvre d’une large
démarche d’identification, d’accompagnement et de
promotion des acteurs concernés ; impliquer et
appuyer tout particulièrement les parties prenantes
de l’innovation dans les technologies transversales,
telles que les KET ; mobiliser sur ces différents
objectifs les CTI et les pôles de compétitivité, les
bénéficiaires ou utilisateurs des divers débouchés
de ces innovations, sont des facteurs-clé de
dynamique positive territoriale.
Ils sont aussi des acteurs essentiels du défi
collectif, tant au niveau individuel
qu’entrepreneurial, de la transition énergétique.

III. Les innovations
organisationnelles et
sociétales

Le développement potentiel et probable de chaînes
de valeur plus locales, est rendu possible grâce au
déploiement de process de production (tels que :
micro-production / micro-usines / laboratoires et
fablabs, etc..), « plateformisation » des activités
économiques, mobilisation de l’épargne locale,
économie circulaire de proximité, économie de la
fonctionnalité, comptabilité extra-financière, qui
sont autant de nouveaux modes organisationnels
qui interpellent les territoires et leur gouvernance.

IV. Les synergies territoriales

IV.1 L’importance de la commande publique

La prise de risque permise par la législation est
pertinente pour l’acteur public, quand l’enjeu le
justifie, quand elle a pour but de promouvoir les
projets à haut potentiel qui vont de pair avec
l’innovation radicale et les technologies de rupture.
Il est également souhaitable d’intégrer le principe
d’expérimentation dès la conception des textes, en
consultant systématiquement les acteurs
économiques en amont des dépôts de projets de loi

IV.2 Le rôle des donneurs d’ordre

La maîtrise des risques liés aux chaînes de valeur mondiales
et la recherche d’une plus grande souveraineté nationale ou
continentale repose sur 3 facteurs, dont l’organisation et
l’articulation des rôles des différents acteurs : publics et
privés, nationaux et européens.
Pour ces chaines de valeur, qu’elles fassent l’objet de
localisation de nouvelles filières ou de relocalisation
d’activités productives existantes, cette démarche sera en
grande partie dépendante de l’évolution des politiques
d’achats et des méthodes de production industrielle des
grands donneurs d’ordre internationaux. Celle-ci sera
utilement accompagnée d’une volonté des pouvoirs publics
territoriaux, par l’élargissement de leur politique de
développement économique et son articulation avec leur
politique sociale et environnementale.

IV.3 L’écosystème économique et financier

Développer des coopérations entre entrepreneurs de
différents secteurs sur des sujets transverses (numérique,
logistique, emploi, etc.), articuler les espaces de coopération
existants (club d’entreprises, pôles de compétitivité) avec
ceux qui émergent (fabs labs, coopératives, etc.), ou encore
inventer de nouvelles formes de coopération entre acteurs
publics et privés ou concevoir ensemble des politiques
d’adaptation et d’anticipation sont autant de facteurs-clés
d’une bonne relance économique dans les territoires.
La prospective et l’intelligence économique territoriales
Il apparait nécessaire d’apporter des éléments de
compréhension et de réflexion propre à toutes les parties
prenantes d’une dynamique économique territoriale, à savoir
les acteurs publics des différents échelons de collectivités
locales, les corps intermédiaires, les acteurs privés
(entreprises, investisseurs), et tous autres contributeurs ou
partenaires d’une gouvernance décentralisée
éventuellement multiscalaire (thématique abordée dans le
chapitre suivant). Il apparaît toutefois essentiel de relever
ces deux défis en mobilisant les acteurs de la gouvernance
territoriale, qui trouveront dans cette démarche des
ressources pour la définition et le pilotage de leurs actions
ainsi qu’un processus collaboratif essentiel pour la conduite
des stratégies locales.
La gouvernance territoriale
La gouvernance territorialisée, pour être efficace, doit
s’articuler sur des échelles départementale, régionale,
nationale et européenne, et elle doit également s’inscrire
dans des coopérations interterritoriales qui permettent à des
territoires situés dans différentes nations de confronter et de

lorsqu’ils prévoient de nouvelles normes, afin de
prévoir d’emblée des dérogations temporaires
facilitant l’expérimentation.
coordonner leurs démarches. « Le développement local
est avant tout une démarche, … qui repose sur la volonté
convergente des acteurs de construire un projet de

développement qui intègre les dimensions économiques,
sociales et culturelles. Il s’appuie sur l’histoire, l’identité des
territoires et leurs ressources ».

Le contenu de ce document s’appuie sur deux
documents complémentaires :
Le premier a pour thème « La gouvernance
territoriale : approches et enjeux ». En effet, au-delà
de ce qui est écrit ci-dessus de façon synthétique, il
apparait que la gouvernance territoriale est un
besoin récurrent, qu’il convient de réinventer époque
après époque, car les modalités de sa mise en
œuvre doivent s’adapter aux défis auxquels la
société est confrontée et au contexte social, culturel
et historique de chaque territoire d’application. Il est
donc du libre arbitre des acteurs de dépasser une
logique essentiellement administrative,
programmatique et contractuelle, car celle-ci ne
suffira pas à permettre une action unifiée à même de
relancer globalement l’économie. La réflexion sur
cette problématique s’est articulée autour de trois
thématiques :
 La gouvernance : quel champ d’application,
quelle nature ?
 Les acteurs et parties prenantes
(décomposés entre institutions, acteurs
économiques et acteurs sociétaux) ;
 Le facteur humain

Le second, en annexe, présente la « note de
questionnement stratégique » rédigée par la
Commission dans le cadre de la première phase de ses
travaux. Cette note est organisée en quatre chapitres :
 Quels objectifs à cette réflexion ?
 Quel périmètre de réflexion ?
 Quels enjeux humains, sociaux, technologiques
et entrepreneuriaux prendre en considération ?
, lequel chapitre est détaillé en six
composantes : Quelles nouvelles attentes de la
part des citoyens ? ; Quels enjeux sociétaux ? ;
Quels défis engendrés par la diversité des
nombreuses évolutions technologiques
probables ? ; Quelles évolutions
organisationnelles pour les entreprises ?;
Quelle est la bonne gestion des échéances
temporelles ? ; Quels autres enjeux
d’envergure ?
 Quels leviers pour l’action ? décomposé en
trois sous-chapitres : Pour quoi produit-on? ;
Comment diffuser et transférer les
compétences et savoir-faire, ou partager les
expériences et développer les savoir-être à
l’échelle des territoires ?; Quelles composantes
et quelle gouvernance pour un système
économique territorial ?.

L’ensemble de ce document a été élaboré par la Commission de Prospective territoriale de la Société Française de
Prospective, composée de : Christine AFRIAT, Dominique ARNAL, Jean-Éric AUBERT, Frédéric BRUGELLES, Philippe
CLERC, Francine DEPRAS, Denis DHYVERT, Patrick DUBARLE, Henri FRAISSE, Éric HAUET, Henri JACOT, Robert JESTIN,
Hélène MORINIERE, Alain PETITJEAN et Jacques THEYS. La Commission a été animée par Philippe CLERC et Denis DHYVERT.

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