[vc_row][vc_column][vc_column_text]Synthèse du Printemps de la Prospective – 19 Juin 2019 – Par Jean-Eric Aubert

[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_column_text]Changement climatique, révolution numérique, pression démographique, basculement géopolitique… L’humanité fait face à une série de défis inédits. Elle est engagée dans une « Grande Transition ». Une transition comparable dans son importance à l’apparition de l’agriculture au néolithique, et à l’avènement des sociétés industrielles, mais une transition qui opère sur une période beaucoup plus courte et qui est d’ampleur planétaire.

Le livre publié par la Société Française de Prospective, issu de plusieurs colloques qui ont précédé celui-ci, éclaire cette « Grande Transition » et les défis auxquels l’humanité est confrontée (La Grande Transition de l’humanité, de sapiens à deus, SFdP, FYP Éditions, 2018).

Face à ces défis, les territoires – régions, départements, métropoles, pays, …– multiplient les initiatives : élaborant des plans de développement écologiques, mettant en place des économies circulaires, une agriculture durable, inventant de nouvelles formes d’action sociale, …. Quant aux pouvoirs centraux, ils engagent des réformes d’envergure, redécoupant le territoire national.

Mais les résultats ne sont pas à la hauteur des enjeux. Les inégalités s’accroissent entre les territoires et entre les populations. Et les tensions politiques et sociales montent. Au point de mettre en question nos organisations démocratiques et de déstabiliser nos institutions dont la légitimité ne va plus de soi.

C’est au niveau des territoires qu’une cohérence peut être retrouvée au travers de projets de société aux finalités démocratiquement élaborées et partagées au plus près des habitants. C’est pourquoi le Printemps a voulu d’abord donner la parole aux acteurs des territoires, recueillir leurs témoignages, s’appuyer sur leurs réflexions, avec le concours d’experts et de grands témoins.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_column_text]

Le programme du colloque

Le programme a été conçu dans cet esprit. Autour de trois grandes questions : quels nouveaux modèles économiques peut-on mettre en place ? A quels aménagements 2 institutionnels procéder ? Comment concevoir une prospective démocratique et véritablement proactive ?

Après une présentation du concept de « Grande Transition » par les coordinateurs du livre de la SFdP, les ateliers et les tables rondes ont, au fil de la journée, apporté de plus en plus d’éléments de réponse à ces trois questions.

Tout d’abord, les problématiques des trois questions ont été introduites par une première table ronde, réunissant des responsables d’organes fédérateurs d’acteurs engagés dans le développement des territoires (Union nationale des acteurs et structures du développement local – UNADEL, Coordination nationale des conseils de développement – CNCD, Chambre de commerce et d’industrie – CCI France) et des responsables des principales agences étatiques concernées (Commissariat général à l’égalité des territoires – CGET et Commissariat général au développement durable (ministère de la Transition écologique et solidaire) – CGDD).

Puis les participants se sont répartis en quatre ateliers et ont échangé leurs points de vue à la lumière de situations et d’expériences vécues respectivement dans les petites communes, les métropoles, les régions et les territoires d’outre-mer.

Deux tables rondes constituées de « grands témoins » – politiques, universitaires, experts (écologues, économistes, politistes) – ont complété ces apports. La première a été consacrée aux modèles économiques, la seconde aux aménagements institutionnels.

Avant d’exposer les réponses apportées aux trois questions posées par le colloque, il est utile de revenir sur les phénomènes à l’oeuvre dans cette Grande Transition.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_column_text]

Transitions, émergences, menaces

Les principales transformations qui portent cette transition sont le changement climatique et la révolution numérique…Elles font suite au processus de mondialisation vécue ces dernières décennies… S’ensuivent des mouvements d’ordre écologique, technologique, économique, social, géopolitique… Les socles sur lesquels se sont construites nos sociétés en sont ébranlés… Cela ressemble aux mouvements des plaques tectoniques en géologie, suivant l’image proposée dans l’ouvrage de la SFdP. Des tensions et des frictions apparaissent. Ainsi des industries disparaissent, des régions déclinent, des inégalités se creusent…. Des groupes sociaux se révoltent (Gilets jaunes), des forces politiques se mobilisent (« populistes » par exemple). Et ces difficultés étaient bien présentes dans les esprits des participants au colloque.

En même temps, de nouvelles organisations économiques apparaissent, de nouveaux modes de vie se font jour, de nouvelles pratiques politiques se mettent en place… Beaucoup de ces phénomènes émergents semblent, à certains égards, d’importance ou d’ampleur bien insuffisantes face aux transformations auxquelles les sociétés sont confrontées. Mais certains sont annonciateurs de ruptures plus importantes et potentiellement fécondes (des « signaux faibles » auxquels prêter attention). Ce sont des éléments de cette sorte que l’on a perçu au fil du colloque, au travers des études de cas qui ont été présentées, des expériences qui ont été discutées et des réflexions qui ont été partagées.

Pour autant, l’ampleur des problèmes à venir n’a pas été sous-estimée. Bien au contraire ! Par exemple, les effets du changement climatique – perte de biodiversité, montée du niveau des mers, multiplication des catastrophes naturelles — ont été abondamment soulignés (voir par exemple les contributions de Denis Lacroix dans la 2ème table ronde et Dominique Bourg dans la 3ème table ronde). Dans le même temps ont été dénoncées une certaine inertie des politiques, dont les discours ne sont souvent pas suivis d’actions d’envergure, ainsi qu’une certaine fatalité des populations. Par exemple face au changement climatique, après avoir longtemps considéré que c’était une affaire de long terme que l’on pouvait ignorer, nombre de gens se disent maintenant que c’est trop tard pour agir, ou pour changer leurs modes de vie (voir l’intervention de Dominique Bourg dans la 3ème table ronde).

Face à cette situation, certains orateurs ont évoqué clairement des processus d’effondrement. D’autres, au contraire, ont porté des messages d’espoir, voire d’enthousiasme pour les actions à entreprendre. Ce n’est pas un hasard si ces derniers propos sont venus d’animateurs d’expériences locales, comme des territoires qui renaissent, des universités qui se réinventent (voir par exemple Pierre Giorgini dans la 2ème table ronde). Là précisément, au niveau local, où peut se manifester de la résilience, si ces risques d’effondrement devaient se préciser.

Quoiqu’il en soit, les changements à venir sont considérables, et selon les comportements adoptés tant au niveau global que local les conséquences pour les populations varieront énormément. C’est ce que montre l’étude sur la montée du niveau de la mer évoquée par Denis Lacroix. « Les huit scénarios identifiés montrent qu’il est rationnel de se préparer à des élévations moyennes de l’ordre de 1 à 2 mètres à l’horizon 2100, et que même des politiques et continues d’adaptation n’ont de sens qu’à moyen et surtout long terme (2100 et au-delà) que couplées avec d’ambitieuses politiques d’atténuation engagées aussi précocement que possible » conclut le résumé de l’étude (La montée du niveau de la mer : conséquences et anticipations d’ici 2100, rapport d’étude AllEnvi (Alliance de
recherche pour l’environnement), octobre 2019). Les analyses conduites sur trois territoires – Pays Bas, Vietnam, et Nouvelle Aquitaine – montrent aussi l’importance des politiques d’adaptation locales pour limiter les effets négatifs de la montée du niveau des mers.[/vc_column_text][vc_video link= »https://youtu.be/oaqfN4hRmE0?t=195″ el_width= »70″ title= »Denis Lacroix dans la 2ème table ronde »][vc_video link= »https://youtu.be/CmuWeQxc6lk » el_width= »70″ title= »Dominique Bourg dans la 3ème table ronde »][vc_video link= »https://youtu.be/oaqfN4hRmE0?t=1463″ el_width= »70″ title= »Pierre Giorgini dans la 2ème table ronde »][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_column_text]

Vers de nouveaux modèles économiques

Les intervenants ont confirmé l’inadaptation du modèle sur lequel se sont construites la croissance et la mondialisation, qu’il s’agisse d’industrie, d’agriculture, d’urbanisation…. Comme l’ont dit certains, « on va dans le mur ». C’est-à-dire que si rien ne change, la crise écologique va aller en s’amplifiant, la désertification des territoires périphériques et ruraux va se poursuivre, les inégalités vont continuer de s’accroître… (voir l’intervention de Claude Grivel dans la 1ère table ronde et celle de Christian Du Tertre dans la 2ème table ronde).

Cependant les solutions alternatives au modèle dominant ne sont pas simples à concevoir et mettre en oeuvre. Elles relèvent de ce que l’on peut appeler le « réalisme magique » — du nom de ce mouvement pictural d’Amérique latine qui cherchait à mettre de l’utopie dans une réalité nécessairement incontournable : il s’agit dans les territoires, à la fois, de tenir compte des réalités économiques, et notamment des nécessités d’emploi, et de répondre aux impératifs d’adaptation écologique, aux pressions de la mondialisation, aux exigences démocratiques et sociales, etc.

De fait, les conditions d’urbanisation ont créé une situation faite à la fois d’inégalité et d’imbrication entre territoires. C’est le résultat tant des forces économiques à l’oeuvre au niveau mondial que des politiques nationales qui ont fortement encouragé la métropolisation des territoires. Cela a conduit, entre autres, à une séparation entre les lieux où l’on travaille et les lieux où l’on habite. Ainsi les centres villes des agglomérations petites et moyennes se vident de leurs activités. Les temps passés dans les transports augmentent. L’économie générale des territoires se transforme en profondeur, au bénéfice de ceux capables de capter les revenus générés par les entreprises, les pouvoirs publics (services publics, fonctionnaires y compris des collectivités territoriales), et autres (Laurent Davezies. La République et ses territoires : la circulation invisible des richesses. Édition : Seuil, 2008).

Les conditions d’optimisation des productions et des dispositifs de distribution qui se sont mis en place avec la mondialisation créent des obstacles difficiles à surmonter – du moins à court terme. Comme l’illustre l’histoire de la tomate de Marmande (évoquée par Annabelle Boutet dans la 1ère table ronde) : aujourd’hui, elle est moins chère au final à faire partir sur le marché de gros de Rungis et à faire revenir sur place pour des consommateurs locaux, alors qu’il semble tomber sous le sens qu’un circuit court allant des producteurs aux consommateurs locaux serait préférable pour tous les acteurs. Mais ceci suppose d’autres formes d’organisation des marchés au niveau mondial et européen, de taxation des importations ou des transports générateurs de gaz à effet de serre, de dispositifs d’aides aux agriculteurs locaux (coopératives, labels …).

Si l’on voit bien, avec la révolution numérique, qu’il faut s’appuyer plus que jamais sur les ressources intellectuelles des territoires, dans l’esprit de « l’économie de la connaissance », les choses se compliquent avec « l’économie de l’attention », qui importe tout autant. Dans un monde dominé par les réseaux sociaux, il s’agit de capter l’attention des acteurs de tous ordres et de développer l’attractivité des territoires par les informations que l’on diffuse, les images que l’on construit, etc… Les conditions de la concurrence entre les territoires s’en trouvent sérieusement perturbées (voir l’intervention de Thibault Renard dans la 1ère table ronde).

Il est cependant possible de discerner quelques caractéristiques communes aux modèles adaptés aux enjeux. Il va sans dire qu’ils doivent être économiquement efficaces, écologiquement soutenables et socialement acceptables. Divers exemples évoqués lors du colloque donnent des indications sur les conditions de leur mise en place.[/vc_column_text][vc_video link= »https://youtu.be/oaqfN4hRmE0?t=2384″ el_width= »70″ title= »Christian Du Tertre dans la 2ème table ronde »][vc_video link= »https://youtu.be/jHUPegugo0w » el_width= »70″][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_column_text]Des modèles qui facilitent le Vivre ensemble

Les modèles économiques de l’avenir seront ceux qui permettront aux populations dans leur diversité de vivre ensemble : riches et démunis, jeunes et anciens, urbains et ruraux, autochtones et migrants… au sein des localités. A un niveau de granularité supérieur, au sein d’entités plus larges, il faut trouver des dispositifs économiques qui permettent un équilibre fécond entre métropoles, périphéries et monde rural.

Ces équilibres sociaux sont indispensables pour la viabilité à long terme des territoires, véritables espaces de vie, et des économies qui les soutiennent. Les exemples venus des Hauts de France, tant de la métropole lilloise que de localités comme Grande Synthe ou Loos en Gohelle, sont éclairants à ce sujet.

Des territoires renouvelés par la créativité de leurs habitants

Les solutions aux problèmes que connaissent les territoires sont à chercher en euxmêmes ; les populations qui les habitent détiennent les clés des problèmes, comme l’ont souligné plusieurs intervenants (voir notamment Hugues de Jouvenel, dans la 2ème table ronde).

De manière générale, il y a des potentiels cachés. Comme le montrent par exemple les concours destinés aux entrepreneurs – classiques ou sociaux — qui foisonnent de propositions. Parfois, les réussites sont peu visibles, comme celles de ces champions industriels cachés, révélés par les chambres de commerce et d’industrie (voir l’intervention de Thibault Renard dans la 1ère table ronde). Il convient donc de créer les conditions pour que les idées des habitants des territoires s’expriment, se révèlent et que leurs projets se développent.

Des systèmes de production transformés en profondeur

Comme l’illustrent des expériences emblématiques, comme celle de la Bio-vallée dans la Drôme, il est possible de se revivifier et se réinventer autour de l’écologie (voir le site internet de la SFdP, dans le blog du Printemps). Dans le même esprit, la politique de transition énergétique mise en oeuvre par la communauté d’agglomération de Vichy concerne toutes les sources d’énergie, tous les usages, et tous les moyens de générer des économies d’énergie pour réduire drastiquement les émissions de carbone, et devrait à terme conduire à transformer complétement le modèle énergétique de l’agglomération (voir la présentation de Antoine Duffaut dans l’atelier sur les villes rurales et moyennes).

La remise en cause des modes de production et de consommation peut avoir des effets systémiques profonds, touchant de nombreux secteurs. Ainsi, dans l’alimentaire, mettre en question les modes de production et de consommation débouche sur de nouvelles politiques du foncier (pour libérer des terrains), du logement (pour du maraîchages sur les immeubles par exemple), du transport (pour favoriser les circuits courts), etc. et des dispositifs fiscaux, budgétaires et réglementaires pour accompagner ou stimuler les adaptations nécessaires (voir la synthèse de l’atelier sur les villes rurales et moyennes par David Commarmond).

Des dynamiques soutenues par tous types d’innovations

Les innovations de tous ordres sont mobilisées. Il n’y a pas de distinction à faire entre « low tech » et « high tech ». De fait, on sait bien que toutes les activités, y compris les plus banales et les plus traditionnelles, sont fécondées par les nouvelles technologies (en témoignent les applications sur smartphone). De plus, « l’open hardware», donnant quasi gratuitement accès aux technologies nouvelles, offre des possibilités de développement d’industries en petite série, à bas coût, adaptées à des productions dans les territoires périphériques : pompes à chaleurs, bus, etc. (Marc Tirel dans la 3ème table ronde).

Enfin les innovations sociales comptent tout autant que les innovations technologiques. Et les unes comme les autres entraînent des innovations dans les organisations et les institutions.

Des politiques de développement au plus près des singularités locales

Toute démarche de développement territorial, pour réussir, doit se faire au plus près des spécificités de chaque territoire. C’est une évidence, mais le colloque l’a utilement rappelé. Il s’agit d’exploiter des forces et des atouts intrinsèques, et également d’identifier des faiblesses ou des obstacles qui peuvent freiner les projets.

Ainsi, dans les territoires d’Outremer (voir la synthèse de l’atelier par Nathalie Kakpo), pour ce qui est des atouts, il s’agit, par exemple, de valoriser les ressources locales, les savoirs faires ancestraux, etc., mais aussi les traditions politiques, par exemple les méthodes de recherche de consensus propres aux sociétés en question. Et pour ce qui est des faiblesses, il s’agit d’élever le niveau des qualifications de la jeunesse, de surmonter des frictions inter ethniques, etc., ou encore de remédier au manque d’intégration économique et commerciale avec les autres pays des zones où sont situés ces territoires. Et suivant les territoires concernés, il y a des singularités essentielles à prendre en compte. Des situations problématiques peuvent se transformer en atouts si les circonstances changent : ainsi en Égypte, dans le delta du Nil, la montée des eaux de la mer a permis le développement d’une aquaculture florissante (Denis Lacroix, 2ème table ronde).[/vc_column_text][vc_column_text]

Pour les réaménagements institutionnels

Comment aménager les cadres institutionnels pour favoriser l’épanouissement de ces nouveaux modèles économiques ?

Au fil des décennies passées la politique d’aménagement du territoire a évolué vers moins de centralisme. Des étapes clés ont été franchies notamment avec la « loi Defferre » en 1982 (Loi relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, votée le 28 janvier 1982, promulguée le 2 mars 1982 et complétée par la loi du 22 juillet 1982. Elle inaugure l’Acte I de la décentralisation. ) et 1983 (Loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l’Etat. ) la loi Voynet de 1999 (Loi du 25 juin 1999 d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire, dite « loi Voynet » ou « LOADDT ». ), portant création des Conseils de développement… Dans le même temps, dans un territoire français fortement morcelé (36 000 communes) des mesures ont systématiquement été prises pour favoriser les regroupements, comme celles créant les communautés de communes (Loi n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République modifiée par la loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, et loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. ) et les communautés d’agglomération (loi Chevènement – Loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale. ), et plus récemment, l’affirmation des métropoles (loi MAPTAM – Loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite « loi MAPAM » ou « loi MAPTAM ». ) ou, à un niveau de granularité supérieur, les grandes régions (loi NOTRe – Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (Acte III de la décentralisation). ) .

Ces réformes, pour justifiées qu’elles furent, ont cependant montré leurs limites. En plus d’avoir accentué des processus d’urbanisation problématiques, elles ont engendré un millefeuille administratif épais, complexe et bureaucratique. Elles ont également été impuissantes pour enrayer les inégalités de développement territorial. Celles-ci ont fini par déboucher sur des situations sociales intenables, culminant avec les manifestations des « Gilets jaunes ». Mais ces distorsions sociales ont pris, au fil des ans, bien d’autres formes, à commencer par certaines « cités » des banlieues devenues des zones de non droit, alimentées par des trafics de tous ordres.

L’affaiblissement des moyens de l’État central, tout comme la montée des revendications des élus locaux et régionaux pour plus de capacités d’initiatives, a conduit à la mise en place de politiques contractuelles entre l’État central et les territoires, fondées sur des appels à projets, tout en insistant sur l’adaptation aux spécificités de chacun (politique de « différenciation »). Cependant, s’il y a une politique des territoires, il ne semble plus il y avoir de politique du territoire national. Ou alors elle résulte de choix implicites faits dans des politiques sectorielles qui concernent les transports (les TGV plutôt que les TER), la santé (les grands hôpitaux plutôt que les maisons de santé locales, ou l’inverse), ou les territoires d’industrie (pôles de compétitivité).

Dans le même temps, fruit de l’évolution des mentalités et des technologies, l’architecture institutionnelle, marquée par la verticalité des pouvoirs depuis des siècles, s’est transformée : on va vers de plus en plus d’horizontalité, avec de nouveaux rapports entre l’État et le citoyen (comme le souligne Yannick Blanc dans son article du livre sur la Grande Transition et l’a rappellé lors du colloque). Les choses deviennent encore plus compliquées, car les groupements de citoyens engagés dans des projets sur un territoire tendent à se dissoudre assez rapidement une fois le projet terminé, certains de leurs membres se réengageant dans d’autres initiatives. La continuité de l’action s’en trouve affectée (comme évoqué dans l’atelier sur les villes rurales et moyennes). Dans le même esprit de désinstitutionalisation, on observe que les « conseils de quartier » vivotent quand les associations d’habitants se développent.

Ce faisceau d’évolutions problématiques implique de reconsidérer en profondeur les cadres institutionnels dans lesquels les territoires se développent. Le colloque a donné quelques pistes pour cela.

Faire mieux fonctionner ce qui existe

Les réformes territoriales menées au pas de charge ces dernières années ont créé une certaine « fatigue ». A tous les niveaux. « On a besoin d’une pause » (comme les orateurs de la 1ère table ronde l’ont souligné). En revanche, les acteurs institutionnels présents sur les territoires demandent qu’on les laisse expérimenter avec les moyens dont ils disposent, pour mieux se mettre au service des citoyens, pour mieux se coordonner entre eux – notamment au niveau des bassins de vie et d’emploi, pour apprendre les uns des autres. (Voir Yves Londechamp dans la 1ère table ronde).

En complément, d’autres acteurs, observant la multiplicité des associations d’élus et l’éparpillement des efforts, ont plaidé pour des rationalisations et des fusions (ainsi Jean-Claude Mairal dans la 3ème table ronde). D’autres encore ont pointé que les dispositifs intercommunaux, y compris les conseils de développement, fonctionnent de manière peu démocratique, les membres n’étant pas élus mais cooptés et peu renouvelés au fil des ans. Des changements sont nécessaires.

Créer des institutions pour la résilience

Si l’on a conseillé la prudence en matière de grandes réformes, une proposition audacieuse a été formulée : celle d’un Conseil National de la Résilience (clin d’oeil au Conseil National de la Résistance), assorti de Conseils Locaux de la Résilience (Claude Grivel dans la 1ère table ronde). Cette aspiration à la résilience, évoquée plus haut, témoigne de la prise de conscience que les chocs engendrés par la Grande Transition seront à la fois forts et inéluctables, et qu’il convient de se donner les moyens institutionnels d’y faire face, tant au niveau national que local.

Ces idées pourraient inspirer les pouvoirs publics engagés dans la revitalisation d’organes comme le Conseil économique, social et environnemental (CESE) au niveau national et les CESER au niveau régional, ou encore dans leurs efforts pour renouer les liens entre les autorités centrales et les acteurs locaux, notamment ceux des territoires ruraux.

Pour l’État, a minima, remplir ses fonctions régaliennes

Le manque de moyens financiers, et au fil des ans l’affaiblissement des ressources humaines, des pouvoirs centraux posent de graves problèmes. Les conditions de développement des territoires dépendent au premier chef de la manière dont la sécurité au quotidien est assurée, dont la justice est rendue (pas simplement pour des crimes, mais aussi pour des questions telles que des conflits fonciers et autres). Et sur ces plans, il y a beaucoup à dire et à faire. Le développement d’un territoire dépend aussi de la qualité du système éducatif qui y est implanté, à commencer pour les petites classes du primaire. On sait dans quelles directions il faut aller (voir, entre autres, les réformes Blanquer : dédoublement des classes, meilleurs enseignants mieux payés), mais comment monter en échelle ?

A terme, inéluctablement, des réallocations budgétaires de grande ampleur seront nécessaires pour assurer ces besoins essentiels pour la communauté nationale. Un réaménagement des responsabilités et des pouvoirs entre les autorités centrales et les autorités locales sera peut-être indispensable.

Adapter l’administration de la France aux évolutions du monde

Les enjeux de la Grande Transition sont tels que l’on ne pourra pas faire l’économie d’une refonte profonde des politiques d’aménagement du territoire. Pour ce faire, il faudra bien s’interroger sur l’adéquation du modèle d’administration de la France, hérité de Napoléon, et qui finalement n’a pas fondamentalement changé au fil des siècles. La comparaison avec des dispositifs plus décentralisés ou plus fédéralistes, notamment dans le contexte européen, serait très instructive et pourrait conduire à des réformes salutaires. De manière plus générale, les évolutions planétaires, avec la montée des pressions de toute nature poussant au développement de capacités de résilience régionales et locales, sont à observer de très près.

Enfin, comme l’a souligné l’atelier sur les Outre mers, il est temps de sortir d’une situation héritée de l’époque coloniale, qui maintient une forme de dépendance des départements et régions en question vis-à-vis de la métropole, sans que l’on se donne les moyens, avec cet extraordinaire atout, de faire de la France « un archipel planétaire », disposant de la deuxième plus grande zone maritime mondiale (contribution écrite de Thierry Gaudin après le colloque).[/vc_column_text][vc_video link= »https://youtu.be/oaqfN4hRmE0?t=3300″ el_width= »70″ title= »Hugues de Jouvenel, dans la 2ème table ronde »][vc_video link= »https://youtu.be/jHUPegugo0w » el_width= »70″ title= »Thibault Renard dans la 1ère table ronde »][vc_video link= »https://youtu.be/KyRjSv7i0eI » el_width= »70″ title= »Yves Londechamp dans la 1ère table ronde »][vc_video link= »https://youtu.be/uZAubOtq6YU » el_width= »70″ title= »Jean-Claude Mairal dans la 3ème table ronde »][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_column_text]

Une prospective renouvelée

La prospective territoriale s’est développée de manière importante au fil des années. Initiée au départ par des organismes centraux comme la DATAR, la pratique s’est répandue avec les obligations qu’ont eues les territoires de faire des plans pour leur développement à moyen long terme (Schéma de cohérence territoriale – SCoT, Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires – SRADDET, Schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation – SRDEII, Schéma régional de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation – SRESRI….), sans compter ceux qui leur sont demandés dans le cadre européen (cf. fonds européens structurels d’investissement – FESI). Les efforts de prospective des territoires ont évidemment été fortement influencés par l’évolution des politiques gouvernementales au plus haut niveau, et plus généralement par celle des idéologies et des valeurs qui inspiraient la conduite de la nation.

Comme le montre l’expérience des territoires qui se sont le plus précocement et sérieusement engagés dans la prospective. A l’exemple du Grand Lyon (contribution de Henri Jacot à l’atelier sur les métropoles). Quatre phases sont clairement identifiées : une « planification territoriale » (1969-1983), qui s’inscrit dans une perspective centralisatrice impulsée et guidée par l’État, avec le concept de métropole d’équilibre ; une « planification stratégique » (1983-1995) autour de nouvelles thématiques, et une plus grande implication de la société civile, mais le terme de « planification » demeure ; une « prospective « grande démarche » (1995-2008), avec une affirmation de la prospective participative et la production de « visions » sur la métropole à l’horizon 2020 ; enfin une « prospective « au quotidien » (2008-2019), où la prospective est beaucoup plus liée à l’action publique et à des projets opérationnels.

Si un certain nombre de grandes métropoles et de régions ont pu conduire des exercices approfondis et structurés de prospective, cela n’a pas été le cas pour la plupart des autres entités. Elles ont manqué de ressources et de méthodes pour s’approprier la pratique de la prospective dans la durée et en profondeur. Beaucoup, tout en remplissant les obligations de prospective imposées pour les plans de développement à dix ans ou autres, ont sous-traité les exercices à des équipes de consultants. Quelle que soit la qualité des travaux rendus, c’est insuffisant pour engager véritablement les élus, et plus encore les populations, dans une prospective efficace.

Même lorsque ces efforts sont portés par des groupes motivés et des visions novatrices, les projets sont entravés par le cloisonnement des administrations au niveau central et local, le manque de culture économique ou technique des élus, les rivalités entre les communes. Comme l’illustre l’exemple du pays de Retz où il a fallu de patients efforts sur plus de dix ans, et même attendre un changement de municipalité pour des progrès significatifs (voir l’exposé de Amandine Thuillier dans l’atelier sur les villes rurales et moyennes).

Cela étant, il faut faire preuve de réalisme. Les personnalités politiques, les responsables administratifs et les animateurs d’associations, engagés dans l’action sur le terrain au jour le jour, qui sont intervenus au colloque, n’ont pas caché que, dans l’état actuel des choses, les efforts de prospective reposaient sur un nombre limité d’ « agents proactifs ». C’est dans la nature des choses. Toutes les expériences de rénovation territoriale à travers le monde, à quelque échelle que ce soit, montrent bien que les mouvements partent de pionniers qui regroupent les énergies de quelques entrepreneurs, universitaires, ou politiques, avant d’entraîner de plus larges segments des populations.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_column_text]Une prospective mobilisatrice

Si les démarches prospectives partent d’un noyau de pionniers, elles ne sont fécondes que si on parvient à les élargir autour de véritables « projets de société pour un territoire » partagés par de plus en plus d’acteurs, plus que des « projets de territoires ». Il s’agit d’inventer et faire émerger des communautés nouvelles, avec des participants de tous milieux, capables de penser et co-construire l’avenir de leurs territoires. Cette co-construction est, sans doute, la voie la plus appropriée vers une prospective véritablement « démocratique », dont nous avons plus que jamais besoin à un moment où nos systèmes politiques sont remis en cause ou désertés par les électeurs.

On a fait état, au fil du colloque, d’expériences qui peuvent être sources d’inspiration. Ainsi en Nouvelle Aquitaine, pour l’adaptation au changement climatique (voir l’exposé de Jean-Claude Louineau dans l’atelier sur les régions), et plus particulièrement l’expérience Acclimatera. Elle a mobilisé sur une décennie de nombreux scientifiques qui sont allés à la rencontre des collectivités locales et des habitants, et ont ainsi stimulé prises de conscience et initiatives. Ces travaux ont débouché sur des réalisations concrètes – par exemple sur un institut de recherche sur les vins de Bordeaux et leurs conditions de production, dans une région qui, avec le réchauffement climatique, sera à la latitude de Tunis dans vingt ou trente ans.

Une prospective opérationnelle

Anticiper oui, mais aussi agir : le besoin d’une prospective résolument tournée vers l’action a été abondamment soulignée par nombre d’intervenants (voir par exemple Hugues de Jouvenel dans la 2ème table ronde). Cette prospective opérationnelle passe par un travail de formulation de visions sur l’avenir d’une région, d’une ville, d’un quartier, qui doit être précédé par des diagnostics prospectifs approfondis, et ensuite être suivi par la construction de plans de réalisations en conséquence ; puis par des expérimentations soutenues.

En France, l’une des expériences les plus emblématiques, de ce point de vue, est celle de la région Hauts de France, de la CCI Hauts de France et de la métropole de Lille, autour de la troisième révolution industrielle (Rev 3), inspirée par les idées de Jeremy Rifkin. Cette démarche a été complétée, entre autres, par des initiatives universitaires, en particulier par celle de l’Université Catholique de Lille, réinventant son organisation, les rapports des enseignants aux étudiants, et l’engagement auprès des citoyens (quartier Humanicité d’innovations sociales auprès de populations déshéritées).

Une prospective apprenante

Cette nouvelle façon de faire de la prospective requiert un effort d’apprentissage inédit. Il convient donc de favoriser massivement les échanges d’expériences, de les collecter, de les évaluer… De ce point de vue, les pouvoirs publics ont pris des dispositions utiles (telles les Fabriques de la prospective du CGET qui rassemblent autour de diverses problématiques des territoires qui partagent leurs expériences et les traduisent en termes d’actions, de gouvernance, de partenariats…). Mais les transferts de « bonnes pratiques » ne sont pas simples. Il convient de les contextualiser (voir sur ce point Christian Du Tertre dans la 2ème table ronde) pour discerner ce qui est éventuellement transférable, et définir des principes plus généralement applicables. C’est ainsi que l’on favorisera la généralisation des politiques locales « qui marchent ». Les « récits de vie » de petits groupes ou de quartiers peuvent être aussi une puissante source d’inspiration (comme l’a souligné Anne Marie Comparini dans la 3ème table ronde, et l’a illustré le film « Demain » très abondamment visionné).

Enfin une prospective apprenante pour un territoire est aussi celle par laquelle il apprend à se connaître. Cela commence par des dispositifs et des indicateurs pour s’auto évaluer – d’où l’importance de lier prospective et évaluation. Cette auto analyse, qui doit ensuite rentrer dans les fondements culturels et les mentalités des territoires, est nécessaire pour stimuler les habitants, et leur permettre de se projeter plus lucidement vers un futur souhaitable.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_column_text]

Perspectives pour la Société Française de Prospective

A l’évidence, les choses sont en train de bouger dans les territoires. Mais on ne semble pas encore engagé dans des mouvements à l’échelle des ruptures qui se profilent. La montée des pressions favorisera la créativité et l’audace dans la recherche et la mise en oeuvre de nouveaux modèles, la mise en place de nouveaux cadres institutionnels, et de nouvelles démarches de prospective, à la mesure des enjeux.

Les éléments déjà réunis, grâce au colloque, sur ces nouveaux modèles, cadres et démarches, guideront le travail à venir de la Société Française de Prospective et plus précisément de sa Commission de Prospective territoriale, actuellement en veille. Le projet de cette commission pour les deux ans à venir (2020-2021) vise d’une part à faciliter et stimuler les démarches prospectives des acteurs territoriaux et d’autre part à approfondir la compréhension des changements induits par la Grande Transition, à travers le prisme des territoires. Le projet de la Commission s’organise autour de :

  • rencontres avec les acteurs, notamment à travers des réunions en région ;
  • la réalisation d’un état de l’art de la prospective territoriale ;
  • le développement d’une « banque de cas » collectant et présentant des expériences inspirantes pour les acteurs à divers niveaux ;
  • un travail de synthèse sur le futur des territoires, débouchant sur un ouvrage présentant des tendances majeures, des concepts clés, et des principes pour l’action.

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Voir plus loin, avec plus d’acuité : tel est le sens de l’oeil que représente le logo de la SFdP. Ce n’est pas de l’oeil de la SFdP, mais celui de la société tout entière, dont il s’agit. En effet la SFdP se conçoit comme une interface, une instance médiatrice, entre les prospectivistes et la société dans sa diversité. Il convient donc pour la SFdP de servir du mieux qu’elle le pourra la prospective des territoires, appelés à jouer un rôle déterminant face aux défis de la « Grande Transition ».

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