Interview de Jean-Claude MENSCH, maire d’Ungersheim par Danielle Grunberg
DG : Ce que vous avez créé avec les villageois à Ungersheim est exceptionnel. Quand est-ce que ça a commencé et comment ?
JCM : Lors de notre élection en 1989, nous avons été confronté à la fin du gisement de la Potasse, nous obligeants à la reconversion d’un bassin de vie. En même temps, nous héritions d’un groupe scolaire contigu à une piscine, le tout chauffé à l’électricité, qu’il fallait changer. Ces deux chantiers nous interpellent d’entrée et réveillent nos capacités de résilience. Donc, très tôt, nous faisions de la Transition sans le savoir, comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir.
De fil en aiguille, nous nous sommes tournés vers le gaz naturel, puis vers le solaire thermique en 1999. Une chaufferie bois avec son réseau de chaleur viendra améliorer les performances énergétiques en 2007. Plus tard, en 2012, la plus grande centrale photovoltaïque d’Alsace, dont nous sommes les initiateurs, commence à produire. Notre action ne se résume pas seulement à la production d’énergie mais intervient sur les économies d’énergie dans les secteurs à priori les plus dispendieux.
Ainsi, nous ciblons les domaines de l’alimentation, de l’habitat tertiaire et résidentiel, des déplacements, de l’éclairage public, des produits d’entretien, des intrants chimiques en espaces verts …
DG : J’ai eu le plaisir, pendant mes premières interventions en France, de rencontrer plusieurs maires « Transitionneurs ». Le Maire de Mouans-Sartoux et le Maire du village de Villars-sur-Var dans les Alpes Maritimes. Damien Careme à Grande-Synthe dans le Nord et le conseil municipal ont déclaré leur ville en Transition. Vous les connaissez peut-être ?
JCM : Je connais effectivement les actions menées par certaines municipalités très engagées et je m’en félicite. Cependant, malgré une fédération des élus écologistes qui nous regroupent, les actions sont trop rares, trop isolées. Les échéances électorales prennent le dessus dans la vie politique ponctuée par l’adaptation quasi systématique aux différents courants d’opinions.
DG : Il y a, si j’ai bien compris, une association de Maires pour l’environnement/écolos, en France ? Mondial ? C’est super important, mais on en entend rarement parler, pourquoi ?
Comme vous le savez, le mouvement de la Transition est un mouvement de citoyens, donc « horizontal ». Mais chez vous on pourrait dire (comme les Anglais), c’est « Top-Down ». Comment expliquez-vous votre relation avec les villageois et comment cela s’est développé ? Quelle a été la réaction des habitants ?
JCM : Le mouvement de la Transition pour nous s’épanouit verticalement, du bas vers le haut, une sorte de courant ascendant qui schématiquement zigzague transversalement vers le haut, par d’incessants allers et retours. Les prises de décision définitives correspondent à une validation des réflexions, débats, contributions, éclairages, expertises apportées graduellement par la société civile. Le fonctionnement et le pouvoir des élus n’est pas comparable ici, ni à l’Allemagne, ni à l’Angleterre. Toutefois, il convient en tout état de cause d’inventer une nouvelle forme de démocratie par une remise en question constante se traduisant par une perpétuelle évolution.
La relation avec les villageois doit être de proximité et de confiance réciproque ce qui peut s’avérer positif et productif. L’équipe en place est réélue pour les 5ème fois depuis 25 ans sur la base d’un programme associatif, social et solidaire, tout en agissant pour la préservation de nos écosystèmes, ce qui donne de la crédibilité à sa politique.
DG : Vous avez : Autonomie énergétique, alimentaire, intellectuelle, une monnaie locale et plus… c’est le village idéal ? Un petit paradis ! Est-ce qu’il manque quelque chose d’après vous ?
L’avocat du diable dirais : « Oui, c’est facile pour eux. C’est un petit village. Comment ont fait dans une ville de 10 000, 20 000 habitants. C’est difficile ?
JCM : Dans la feuille de route que nous avons élaborée qui repose sur le principe de l’autonomie nous souhaiterions clairement une participation de la population plus forte et plus soutenue. L’échelle pertinente par rapport à la sensibilisation, à la réactivité, à la réciprocité et justement de la participation se situe au niveau d’un village, d’un quartier, d’une ville sur une population de 4000 habitants environ.
Afin de rester au contact et de progresser lentement, d’ouvrir son chemin en marchant, il convient de rester au départ à une dimension humaine d’un territoire de vie où on partage les mêmes intérêts, les mêmes objectifs et les mêmes espérances.
DG : C’est quoi la Transition ? Quel avenir pour Ungersheim ? Le monde ?
JCM : La Transition c’est le changement. La course folle de nos sociétés vers une croissance aussi effrénée qu’éphémère, conduit à scier la branche sur laquelle nous sommes confortablement assis.
Nous travaillons dans l’anticipation, en relevant des défis liés à des phénomènes climatiques, économiques et environnementaux qui nous annoncent des échéances dramatiques.
Il apparait que l’homme est incapable de se projeter dans ces échéances. Quelques militants traités aujourd’hui d’utopistes travaillent avec abnégation à préparer le système de demain, un chemin ardu où chacun doit faire sa part à l’image du Colibri, et demain sera meilleur.
La démographie galopante, les migrations climatiques, le tarissement des énergies fossiles nous obligent à nous remettre en question et à construire des modes de vie plus reliés, plus enrichissants, plus fraternels et plus durables sinon les écosystèmes qui nous permettent de vivre disparaitront…
DG : Est-ce que vous percevez votre salaire en « Radis », monnaie locale, comme le maire de Bristol en Angleterre ?
JCM : Non, pas encore, mais une grande partie de mon indemnité de maire est utilisée en monnaie locale.
DG : Pourquoi les « Radis » ? Vous les aimez ? Ils poussent bien à Ungersheim ?
JCM : Le RADIS une Monnaie Locale Complémentaire est l’outil par excellence de la Transition. Il permet l’élaboration de nouveaux liens, la dynamisation de l’économie locale.
Il ouvre de nouvelles perspectives, décomplexifie les rouages de l’argent, rend accessible à tout un chacun un système financier rendu tabou expressément. La Monnaie Locale Complémentaire accorde une dimension démocratique à sa gestion, en terme de gouvernance, de participation et de décisions quant à l’affectation de l’excédent à un projet social et solidaire. La Monnaie Locale Complémentaire se fraye petit à petit un chemin à Ungersheim dans la grande friche du capitalisme séculaire.