Par Jacques Theys, Vice-Président de la SFdP.

Il aura suffi de changer deux mots dans le texte final de la COP 28 de décembre 2023 – transitionner « hors » au lieu de sortir – des énergies fossiles pour passer d’un échec annoncé à un certain, mais ambigu, succès. Pour les uns, il s’agit d’un tournant historique puisque c’est la première fois que la référence à une réduction des énergies fossiles est faite dans une conférence mondiale sur le climat. Pour les autres, il s’agit d’un simple truisme, puisque ces énergies représentent les 3/4 des sources de gaz à effet de serre, 90% de celles de CO2, et que leur réduction était depuis l’origine implicite dans toute lutte contre le réchauffement climatique. Quoiqu’il en soit cette 28 ième COP, présidée par l’Emir d’Abu Dhabi, par ailleurs président de la 7iéme compagnie mondiale de pétrole, aura eu au moins le mérite de mettre sur le devant de la scène la question de l’avenir de ces énergies fossiles et de leur remplacement. C’est ce que qu’avaient d’ailleurs anticipé les lobbyistes de ces énergies venus en force à Dubaï – plus de 2500 !

Chaque COP a une dominante, et incontestablement celle de Dubaï aura été marquée par la question de la transition énergétique – qui est aussi une façon d’aborder la question des fossiles en les contournant-. Conformément à l’approche « positive » proposée par l’Agence Internationale de l’Energie, la COP 28 n’a en effet pas conduit les Etats à adopter des contraintes pour la production ou l’usage des fossiles mais à accepter des objectifs élevés en matière d’énergies alternatives – comme la multiplication par trois des énergies renouvelables à l’horizon 2030, le développement du nucléaire ou celui des investissements dans l’hydrogène « vert ». Du côté des fossiles, les seules mentions précises qui apparaissent dans le document final concernent la reconnaissance du gaz comme énergie de transition et le développent des techniques de décarbonation des émissions de CO2. On est donc loin de la sortie des fossiles – alors qu’au même moment on apprenait que les productions de pétrole et de charbon avaient atteint leur record absolu en 2023, que les nouveaux investissements dans les fossiles avaient dépassé les 500 milliards de dollars et que l’AIE publiait une prévision annonçant pour la fin de la décennie une nouvelle augmentation de la demande mondiale de pétrole de l’ordre de 10%.

A côte d’un thème dominant, chaque COP est également l’occasion de revenir sur les propositions et décisions des conférences précédentes dans un processus de négociation qui est en fait continu. La seule décision nouvelle importante sur ce plan a été la mise en place du « Fond sur les dommages et préjudices » proposé en 2022 à Charm el Cheik – supposé compenser les dommages supportés par les pays les plus vulnérables en raison du réchauffement et de la montée des eaux. Mais ce fonds, alimenté par des dotations purement volontaires, n’a recueilli que 800 millions de dollars, ce qui est dérisoire par rapport aux besoins estimés à au moins 200 fois plus. De manière plus générale l’adaptation continue à être le parent pauvre des conférences climat. Et sur ce plan la COP 28 n’a pas été au-delà de l’adoption d’un cadre théorique sur les façons d’organiser la prévention des risques et la résilience. Le financement des mesures d’atténuation dans les pays en développement, qui permet en grande partie aux pays du Nord et à la Chine d’exporter leurs technologies, est un peu mieux doté. Mais à Dubaï, il a bien fallu constater que la promesse faîte en 2009 de mobiliser, avant 2020, 100 milliards de dollars au bénéfice des pays du Sud n’était pas encore complètement respectée en 2023. Presque 15 ans pour atteindre un tel résultat – lui aussi pourtant très loin des besoins estimés : Les COPS avancent mais à petite vitesse ! Et cela amène naturellement à s’interroger sur l’efficacité de ce mode de régulation internationale du climat – dans un contexte où la dimension du temps est essentielle.

LES COPS, un mode dépassé de régulation internationale du climat ?

Si l’on en juge à l’évolution des gaz à effet de serre, depuis la première COP qui s’est tenue à Bonn en 1995, on ne peut pas dire en effet que l’efficacité de ces réunions ait été trés probante puisque les émissions ont augmenté de presque 5O % et se sont encore accrues de 1,2% en 2023. La fiction d’un objectif de 1,5 degrés de réchauffement en 2100 est pourtant maintenue alors que selon toute probabilité ce chiffre sera atteint dans les dix ans à venir, que la tendance nous conduit plutôt à 3 degrés à la fin du siècle et que pour respecter cette limite il faudrait quasiment revenir d’ici 2030 aux émissions de 1995 (moins de 43% en 7 ans !). Stephan Ayut et Ami Dahan parlent de « Schisme de réalité ». On sait aussi que la plupart des décisions prises dans les COPS n’imposent aucune obligation ni sanction, et que la plupart des choix qui ont impact sur le climat dépendent d’institutions ou d’acteurs qui sont extérieurs aux COPS, depuis les grandes entreprises jusqu’à l’OPEP ou le G20, en passant par les Etats, les Banques multilatérales, les fonds d’investissement, les consommateurs… Beaucoup d’experts se demandent donc s’il ne serait pas temps de démystifier ces grandes messes annuelles qui ne font finalement que masquer la réalité de la gouvernance mondiale.

Cette question s’est posée en 2O10 à Bali après l’échec l’année auparavant de la Conférence de Copenhague. Mais ce sont les Etats, et en particulier ceux du Sud, qui ont jugé que ces rendez-vous annuels étaient indispensables. D’abord parce que les COPS sont le seul lieu où tous les pays sont présents et où la voix des pays en développement peut se faire entendre. Ensuite parce qu’elles obligent les Etats et les acteurs privés à rendre compte publiquement à intervalle rapproché de ce qu’elles font – comme ce fut le cas cette année à travers le bilan de la mise en œuvre des accords de Paris -. C’est aussi un immense Forum – prés de 100 000 participants pour la COP de Dubaï – dans lequel les Etats, les entreprises, les ONGS, les lobbyistes, les experts, les territoires, les financiers peuvent présenter et échanger des expériences ou des techniques, négocier des accords partiels, former des coalitions, discuter de sujets ou projets spécifiques, mettre en place des coopérations. Si l’on ajoute à cela la fonction proprement politique, on voit que ce n’est pas négligeable.

De là à dire- comme le font parfois les Nations-Unies- que ce processus, en principe démocratique, aurait déjà au moins permis d’éviter un réchauffement de 4 degrés en 2100, en laissant en outre ouverte la possibilité de limiter le réchauffement à 1, 5 degrés, il y a un pas qu’on ne peut pas franchir. Dans son ensemble la gouvernance mondiale du climat fonctionne mal. Elle est trop dépendante des intérêts économiques – notamment des ceux des grandes puissances -, protège mal les pays les plus vulnérables et ne prend pas la mesure des contraintes de temps qui sont spécifiques au climat. L’utilité des COPS ne doit donc pas masquer la nécessité de réfléchir à des modes de gouvernance complémentaires ou alternatifs, comme, par exemple la création d’une Agence mondiale du climat avec des compétences normatives et en matière de commerce, et des financements tirés de taxes sur les transports aériens et maritimes ou les transactions financières. C’était le projet imaginé en 1989 par les 45 Etats signataires de la Déclaration de La Haye – dans laquelle Michel Rocard avait joué un rôle important.  Mais il y en a bien d’autres.

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