Article par Danielle Kaisergruber
Texte originellement publié sur Metis Europe – 14 juin 2020

Métamorphose Du travail : tel est le titre au singulier du livre de Christine Affriat (avec Evelyne Bertin, Eric Hauet, Emily Lecourtois, Olivier Lejeune et Alain Petitjean). Une transformation unique, radicale, mais faite de multiples facettes de changement, du contenu du travail à sa forme juridique et sa place dans un « équilibre du sous-emploi » et d’une société déstabilisée. 

L’ouvrage est collectif, mais écrit d’une seule plume. Il se présente comme une synthèse des nombreux travaux récents sur les impacts de la révolution numérique, de l’économie des plateformes et des politiques de réformes du marché du travail. Mais la démarche est également prospective, les auteurs étant engagés dans de nombreux groupes de travail dans le cadre de la Société française de prospective.

Les déterminants de la transformation du travail (entendu dans un premier temps au sens classique d’activité produite en échange d’une rémunération, quelle qu’en soit la forme juridique) sont analysés. Au premier chef « le faisceau de technologies » qui commencent de se déployer dans les sociétés et impactent toutes les fonctions des entreprises : les nanotechnologies, les biotechnologies, les technologies de l’information et les sciences cognitives ». Ces transformations sont « disruptives » au sens où elles génèrent de nouveaux modèles économiques qui conjuguent désintermédiation, fonctionnement à la demande, et mise au travail du consommateur lui-même. Ce sont de nouvelles et souvent grosses entreprises qui fonctionnent non comme des organisations, mais comme de simples places de marché, ce que traduit le mot de « plateformes ». « Les plateformes sont des organisations hybrides entre l’entreprise et le marché. » Elles se présentent comme de simples intermédiaires, et malgré leur ancrage dans la contre-culture libertaire américaine, elles nient la dimension du travail, et à plus forte raison du « contrat de travail » (voir dans Metis, « Essayer de ne pas mourir idiots ! » – A propos du livre de Dominique Cardon Culture numérique).

Les entreprises plus classiques ne sont pas en reste, et sous les mots d’ordre « d’entreprises libérées », ou de « lean management », ou d’« industrie 4.0 », cherchent à adopter de nouvelles formes d’organisation et de management, avec plus ou moins de succès. Gérard Valenduc et Patricia Vendramin, sur lesquels les auteurs s’appuient beaucoup ont montré que «  ce ne sont pas les technologies elles-mêmes qui améliorent la productivité, mais les changements organisationnels soutenus par les technologies ». Les réformes du marché du travail, mises en œuvre dans la plupart des pays de l’OCDE accentuent les transformations du travail en ouvrant sur une hybridation des statuts d’emploi, parfois un découplage entre contrat de travail et temps de travail : toutes tendances que devrait accentuer la récente période de confinement et le recours massif au travail à distance. Le travail reste essentiel dans la vie des Européens, toutes les enquêtes (celles d’Eurofound en particulier) le montrent, mais il est vécu de manière de plus en plus contradictoire. Les auteurs évoquent ainsi ces jeunes générations qui se voient idéalement travailler dans une grande entreprise dont l’organisation est comparable à celle d’une PME…

En termes de prospective, il apparaît assez difficile de voir se dessiner les différents types de scénarios du futur du travail. Il est d’ailleurs frappant de voir que sous le nom de scénarios, ce sont plutôt des paraboles, des « figures  de travailleurs » qui sont présentés, que ce soit les technologies qui déterminent et « pilotent » le travail, ou que se mette en place une régulation de la technologie au service des hommes, ou une transition plus maîtrisée (et désirée ?) vers une transition écologique et sociale. Le récit d’expérimentations conduites en Finlande, en Indonésie et en Italie (« smart working ») vient illustrer ces différents possibles.

Au final, plus que des scénarios, ce sont des valeurs qui sont affirmées comme devant guider l’action et les manières de composer avec la modernité : la capacitation, l’émancipation au sens d’un rapport actif à la connaissance, la protection et le souci de la reconnaissance. Tout est ouvert pourvu que s’ouvre la possibilité de donner une place à toutes les formes d’activité.

– Métamorphose Du travail  – Christine Affriat avec la participation d’Evelyne Bertin, Eric Hauet, Emily Lecourtois, Olivier Lejeune et Alain Petitjean — Economica, 2020 –

Accéder aux autres articles

Imaginez le Travail en 2050

Par Christine Afriat, vice-présidente de la SFdP Positive Future organise un concours pour penser le Travail en 2050 afin de faire émerger des visions positives du travail. Il propose également une base de ressources extrêmement bien documentée. Cette base de ressources (études de référence, vidéos, articles) met l’accent sur les travaux pouvant fonder une approche positive et durable de l’avenir. Elle est aussi une formidable source d’inspiration et de réflexion pour les participants au concours. Quatre rubriques la composent : Penser […]

Positive Future : un concours pour penser le travail en 2050

Par Christine Afriat, vice-présidente de la SFdP. Le Concours Positive Future a pour objectif de promouvoir des visions réalistes et désirables de l’avenir, ainsi que de valoriser les travaux de prospectives. Après “La Ville en 2100”, l’IEA de Paris et la Fondation 2100, fondateurs du projet, s’associent à l’ANACT et l’INRS pour la deuxième édition du concours sur “Le Travail en 2050”. Le monde du travail évolue, se transforme continuellement. Les entreprises, les organisations de travail cherchent constamment de nouveaux […]

Quelques réflexions autour de la journée exploratoire sur le Télétravail 2021

Par Francine Depras, sociologue, administratrice de la SFdP  1 – Le Télétravail : révélateur ou accélérateur ?  Le télétravail à domicile dans le cadre du Covid-19 s’est imposé à une partie importante de travailleurs qui n’en avait jamais fait l’expérience, bien qu’il fasse partie de la vie professionnelle d’un grand nombre d’actifs. Si l’ampleur du phénomène est exceptionnelle, il est apparu souhaitable de s’interroger à la fois sur le vécu du télétravail, en situation exceptionnelle et sur ses effets dans une situation […]

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.